Lorsque je prépare une conférence je le fais, pour reprendre l’expression d’une amie, « à mort ». Ce qui signifie que j’écris mon texte et que je l’apprends par cœur. Même si je n’en fais pas mystère, je ne me vante pas de cette pratique qui réduit mon éloquence à peu de chose. Pourtant je viens de trouver un précédent prestigieux en la personne de Montaigne qui lui aussi lorsqu’il devait faire une intervention un peu longue apprenait son texte par cœur.
Voici ce qu’il écrit au Livre II des Essais, chapitre XVII. « Et quand j’ay un propos de conséquence à tenir, s’il est de longue haleine, je suis réduit à cette vile et misérable nécessité, d’apprendre par cœur mot à mot ce que j’ai à dire : autrement je n’aurais ni façon, ni assurance, étant en crainte que ma mémoire vînt à me faire un mauvais tour. »
Montaigne est contraint d’apprendre par cœur car il a peur que sa mémoire lui fasse défaut et d’oublier ainsi des choses qu’il souhaitait exposer. Moi j’apprends par cœur car je suis incapable de former une phrase correcte devant un auditoire un peu nombreux ; j’hésite, je bafouille en un mot je suis incapable d’improviser.
J’ai trouvé cette anecdote concernant Montaigne dans un petit livre d’Antoine Compagnon, professeur au Collège de France : Un été avec Montaigne qui reprend une série d’émissions diffusées sur France Inter durant l’été 2012.
J’ai trouvé dans ce livre une autre anecdote amusante. Montaigne a beaucoup hésité sur la langue à utiliser pour écrire ses Essais. A son époque si on voulait écrire pour la postérité on écrivait en latin. Mais Montaigne ne pensait pas qu’on le lirait longtemps. Il a choisi le français parce que cette langue est celle des lecteurs pour qui il écrit. Des lecteurs ou plutôt des lectrices. « Si Montaigne a décidé d’écrire en français, c’est bien parce que ses lecteurs rêvés sont des femmes, moins familières des langues anciennes que les hommes ». Bien des années plus tard Jean-Paul Sartre dira aussi qu’il écrivait pour être lu par les femmes. Mais Sartre était un grand séducteur. Je ne sais ce qu’il en était de Montaigne.
J’aime ces petites anecdotes qui nous rendent plus proches les hommes du passé. Elles remplissent Les Essais.
Jean-Louis
Et tu es plutôt lu par des femmes ! Peut-être que si je ne fais pas de conférences, c'est pour la raison inverse : incapable d'apprendre par coeur et travaillant toujours au dernier moment,il me faudrait être capable d'improviser et ce n'est pas le cas.
RépondreSupprimerUne petite question. Je vois que tu es toujours très réactive aux articles qui sont publiés. As-tu trouvé le moyen de recevoir à nouveau des notifications ?
RépondreSupprimerJean-Louis
Non, je regarde juste régulièrement.
SupprimerUn petit complément à mon article. Montaigne a su parler latin avant de savoir parler français. Il a été élevé par un précepteur allemand qui ne parlait pas français mais parlait couramment latin. Je me souviens lorsque j'étais en sixième, cinquième (et ça ne remonte quand même pas au Jurassique), le latin était une des matières principales en concurrence avec le français et les mathématiques. C'était peut-être exagéré. Mais je regrette qu'on soit tombé dans l'excès inverse. Je ne connais pas bien la situation de l'enseignement dans le secondaire mais je crains que l'apprentissage des langues anciennes soit un peu délaissé. C'était pourtant, comme le remarque Lévi-Strauss, une excellente introduction à l'ethnologie et aux sociétés exotiques (ici dans le temps). Et je regrette que Jacques Brel ait écrit dans sa chanson "Rosa, Rosa, Rosam" (au demeurant fort jolie) "A ceux qui ont la chance d'apprendre dès leur enfance tout ce qui ne leur servira pas". Même si je peux comprendre qu'il inclinait à préférer au latin sa cousine Rosa. Jean-Louis
RépondreSupprimerJe remarque, toutefois, que l'apprentissage par cœur n'est pas sans intérêt. Il oblige à plusieurs lectures et à chaque lecture à se mettre à la place de l'auditeur et à se poser la question de savoir si l'on peut être compris. Il oblige donc à rechercher toujours plus de clarté et à supprimer les parties inutiles.
RépondreSupprimerJean-Louis