Shitao, Devant la cascade du mont Lu
Seuls nous restons face à face,
Le mont Jin Ting et moi,
Sans nous lasser jamais l’un de l’autre
Li Bai
Le 25novembre dernier, La grande librairie recevait JMG Le Clezio, Charles Juliet et Jeanne Cherhal. Le Clezio était venu présenter son dernier livre consacré à la poésie Tang : Le flot de la poésie continuera de couler.
Vous pouvez retrouver cette émission à l’adresse :
La grande librairie - Émission du mercredi 25 novembre 2020 en streaming - Replay France 5 | France tv disponible jusqu’au 25 décembre
Les participants abordèrent le thème de la recherche de l’identification avec l’objet représenté poursuivie par les poètes et les peintres chinois mais aussi par les héros des romans de Le Clézio. Charles Juliet fit remarquer que cette recherche d’identification est favorisée par la tradition culturelle d’Extrême-Orient où des courants de pensée comme le bouddhisme ont entrainé les esprits à la contemplation, à la méditation, à savoir lâcher prise à l’emprise de l’intellect et de la conscience volontaire pour parvenir à ce que les Chinois nomment la « vacuité du cœur ». Charles Juliet rappela qu’en chinois le cœur et l’esprit d’une part, l’intelligence et la sensibilité sont traduits par un seul mot introduisant ainsi au niveau du vocabulaire un rééquilibrage et une continuité entre le cœur et l’esprit, entre l’intelligence et la sensibilité, entre le sensible et l’intelligible. Rééquilibrage et continuité qui ne peuvent que favoriser l’identification à ce que l’on a devant soi.
Charles
Juliet a écrit un opuscule où il rapproche l’expérience spirituelle de Shitao
et de Cézanne. Tous deux cherchent comme le dit Cézanne à « pénétrer ce
que l’on a devant soi ». Matisse ne pensait pas autrement lui qui aimait à répéter : "Comme disent les Chinois, qui veut dessiner un arbre doit savoir grandir avec lui". De
cette identification procède une naissance réciproque : Shitao
"Maintenant, les Monts et les Fleuves me chargent de parler pour eux;
ils sont nés en moi et moi en eux". Et Cézanne : "le paysage se pense en
moi, je suis sa conscience". D'où les derniers vers du poème de Li Bai :
"Seuls nous restons face à face, Le mont Jin Ting et moi, Sans nous lasser jamais l’un de l’autre"
L’intervention de Charles Juliet à La grande librairie m’a donné l’idée de relire ce petit ouvrage. J’ai remarqué une phrase à laquelle je n’avais pas prêté attention lors de ma première lecture, il y a de cela quelques années, et qui maintenant rejoint mes recherches sur le Yi Jing. Charles Juliet rappelle que Shitao aimait à citer cette phrase du Livre des Mutations : « l’homme de bien œuvre en lui-même sans relâche ». Cette phrase contient le fondement de la morale chinoise. Il faut la rapprocher des deux premiers hexagrammes du Yi Jing, Qian et Kun, le Ciel et la Terre, le Yin et le Yang dont l’interaction produit sans relâche les existants. Ainsi le Dao est vertueux, le Dao est généreux comme le dit Laozi, 34. Le fondement de la morale consiste à se conformer au fonctionnement du Dao et à œuvrer sans relâche en nous-mêmes pour parvenir à cette liberté souveraine dont parle Confucius où il peut suivre les désirs de son cœur sans transgresser aucune règle Les Entretiens II,4.
Ainsi le Yi Jing nous offre une aide à la prise de décision mais aussi une certaine conception du monde, de la sagesse et de la morale.
Jean-Louis
Cher lecteur ou lectrice pouvez vous me dire comment se dit en chinois cœur/esprit et intelligence/sensibilité ?
RépondreSupprimerPar ailleurs, dans l'émission jolie chanson de Jeanne Cherhal "L'an 40"
Jean-Louis
Le plus facile : 心 (xīn) = cœur, esprit
RépondreSupprimerEnsuite, cela se complique : 悟性 (wù xìng) = intelligence, sensibilité, le 1er caractère signifiant comprendre, réaliser et le 2nd caractère propriété.
A noter que ces 2 caractères débutent par la clé du cœur.
A ne pas confondre avec : 五行 wǔxíng : cinq phases de la philosophie chinoise: le bois 木, le feu 火, la terre 土, métal 金, l'eau 水.
L'apprentissage du chinois est une perpétuelle découverte. Merci pour cette question, non épuisée.