Devant la cascade Ma Yuan Deux engendre le Trois
Le commentaire de Françoise anticipant la suite de l’article d’Anne Cheng me permet d’en continuer la lecture.
Le parallélisme qui trouve, notamment, son expression dans la dualité Yin-Yang pourrait faire penser que la cosmologie chinoise est une forme de dualisme. Il n’en est rien comme le démontre Anne Cheng.
Claude Lévi-Strauss dans la Pensée Sauvage établit une distinction entre « science analogique » et religion. La première se développe selon un axe horizontal fondé sur des corrélations entre divers phénomènes naturels et humains alors que la mentalité religieuse se développe selon un axe vertical en établissant "un rapport entre deux catégories d’entités (à savoir hommes et dieux) entre lesquelles il n’y a initialement aucune homologie ». Si l’on s’en réfère à cette distinction on peut penser que la cosmologie chinoise relèverait davantage de la « science analogique » opérant selon un parallélisme horizontal. Toutefois pour Anne Cheng, la cosmologie chinoise ne se réduit pas à un parallélisme binaire. En effet si, comme le pense Granet, la dualité Yin/Yang est au cœur même de toute la structure mentale chinoise le parallélisme de la cosmologie chinoise ne se joue pas à deux mais à trois et, par ailleurs, il tend toujours à un retour vers l’Origine.
Les deux énergies Yin et Yang tiennent leur dynamique d’un troisième élément, le souffle médian, dont il est fait mention dans le § 42 du Laozi.
« Le Dao engendre l’Un
Un engendre Deux
Deux engendre Trois
Trois les dix mille êtres » Laozi § 42
Dans la peinture, on le sait, le Yin est représenté par l’eau, le Yang par la montagne et le souffle médian par les nuages. C’est le souffle médian, les nuages qui permet au Yin et au Yang de ne pas rester dans une situation figée d’opposition et d’engendrer les dix mille êtres. « Le parallélisme à trois ouvre la voie à une transformation à l’infini ».
Ainsi le parallélisme n’ouvre pas la voie à un dualisme d’une part parce qu’il opère à trois mais aussi parce qu’il tend à un retour vers l’Origine, vers l’Unité. Ce retour vers l’Origine, cette tension, ne peut, cependant pas être assimilé à l’élan vertical vers la transcendance qui caractérise la mentalité religieuse, c’est plutôt la marque d’un processus cyclique. « En d’autres termes, la dualité Yin-Yang pour fondamentale qu’elle soit, ne représente qu’un temps du mouvement perpétuel du pneuma universel : expansion et diversification à partir de l’Origine, ou, si l’on préfère, déploiement de l’Un dans le Multiple ouvert par le trois, en passant par la relation constitutive et vitale du Deux / retour ou repli de la multiplicité des Dix-mille êtres vers l’Origine et l’unité ».
Et même si la cosmologie a pu se scléroser en devenant une orthodoxie d’Etat, « il n’était plus désormais possible de penser, de sentir, d’habiter le monde hors du parallélisme qui jamais n’oublia tout à fait ses origines cosmologiques. »
A suivre,
Jean-Louis
Plusieurs remarques :
RépondreSupprimer- Quand je vois, Françoise, la perspicacité dont tu fais preuve dans tes commentaires je pense qu’il est vraiment dommage que tu ne prépares pas une conférence ou que tu n’écrives pas davantage sur le blog, même si nous ne sommes que deux à le lire.
- En écrivant cet article et en préparant ma conférence j’ai parfois été saisi de la futilité du sujet face aux évènements dramatiques que connait notre époque. Et puis, cette nuit, je me suis souvenu d’une chanson posthume de Brassens « Honte à qui peut chanter … ». Si tu veux la réécouter voici le lien :
https://www.youtube.com/watch?v=n-8m4dFOPCk
Je sais bien qu’il ne faut pas être passéiste mais, parfois, Brassens nous manque.
- L’article d’Anne Cheng peut donner encore matière à deux ou trois posts. Pour un de ceux-ci j’ai besoin de « L’oracle dell la luna ». Je l’ai redemandé à la bibliothéque.
A suivre donc
Jean-Louis