L’hexagramme 24, Fu,
le retour, fait suite à l’hexagramme Bo et forme couple avec lui. Il est
composé d’un trait yang à la base de la figure et de cinq traits yin
au-dessus de lui. Ce retour c’est, bien sûr, le retour du yang. Dans
l’hexagramme 23, Bo, le yang était en sixième position, donc en voie
d’expulsion. Le voici de retour dans l’hexagramme Fu, en première
position.
Autant le jugement de l’hexagramme Bo était défavorable :
« il n’est pas judicieux d’aller de l’avant », autant le jugement de Fu
est prometteur : « rien ne peut plus faire obstacle ». Certes le trait yang n'est qu'un germe de renouveau mais les traits yin qui se trouvent au-dessus de lui sont heureux de
recevoir son influence et d’être transformés par lui. (FJ P. 1290).
Les valeurs propres
aux deux trigrammes composant la figure apportent une confirmation symbolique à
la capacité que détient cette incitation de déclencher une évolution favorable
en se déployant au travers d’un milieu réceptif. Le trigramme inférieur, Zhen,
le tonnerre évoque une secousse initiale, le trigramme supérieur, Ku, la
terre exprime la capacité de recevoir une influence et de s’y conformer ;
il suffit qu’un tel ébranlement se produise au départ pour qu’il se propage
ensuite continûment. Comme l’indique le commentaire du jugement, la
« croissance » ultérieure se trouve déjà comprise dans cet unique et
soudain avènement. (FJ P. 1291).
Cette amorce, comme
mise en branle, est l’indice même de ce que la réalité n’est pas vouée à un
parcours chaotique (et donc qui nous échappe) mais régulé (et donc qu’on peut
connaître). Un tel retour, une telle amorce nous assure donc de ce que la
réalité possède une authenticité foncière absolument fiable. (FJ P. 1292). Ce stade de l’émergence où l’invisible se relie au
visible est celui où le processus se laisse appréhender globalement, le stade
où nous pouvons pénétrer au cœur de la réalité.
Aussi plus qu’au
mouvement en lui-même le Yi Jing et, d’une manière plus générale, la
pensée chinoise s’intéresse-t-elle d’abord à l’amorce, à l’indice, au germe, à
l’ébranlement, à l’émergence qui nous révèle le cœur de la réalité. En effet, dans le germe végétal est inscrit le développement ultérieur de la
plante, de la même manière dans le germe du processus est inscrit son développement ultérieur.
Un passage célèbre
de Mencius nous donne une illustration de l’importance de cette notion de
germe, d’émergence pour découvrir le cœur de la réalité, c’est-à-dire le grand
Procès du monde.
Ce qui nous fait
affirmer que tout homme est doué de compassion c’est que toute personne qui apercevrait
aujourd’hui un petit enfant sur le point de tomber dans un puits éprouverait en
son cœur panique et douleur …Mengzi II,A,6
Traduit par A. Lévy
Ainsi chacun possède
en soi des germes de moralité. L’homme naît naturellement bon. Bien sûr ces
germes sont fragiles, ils doivent être cultivés par le milieu et l’éducation.
Mais ils sont révélateurs d’une solidarité entre les espèces, d’une continuité
entre l’Homme et le Ciel (la nature) en un mot de l’unité du monde. Une
expérience individuelle (ici la vue d’un enfant sur le point de tomber dans un
puits) donne à voir le fonctionnement du monde. C’est ce que développe François
Jullien : on peut voir affleurer dans une telle expérience ce que
représente aussi, pour sa part, l’hexagramme Fu : cette amorce de réaction
morale est l’indice de notre commune appartenance au grand Procès du monde ;
une émergence soudaine se produit (ici, au niveau du sentiment) qui nous fait
appréhender de façon immédiate …une logique d’ensemble (ainsi la solidarité des
existences individuelles) qui demeure ordinairement implicite et dont,
autrement, nous pourrions douter. FJ P. 1294
Jean-Jacques
Rousseau a cru aussi que l’homme était naturellement bon. Il me semble qu’il y
a sur certains points une similitude de pensée entre le penseur chinois et le
philosophe français. Tous deux ont cru qu’il existait une solidarité entre les
espèces, une solidarité entre l’homme et la nature. Chez Rousseau aussi cette solidarité
est dévoilée à travers une expérience vécue racontée dans les Rêveries du
promeneur solitaire. Reprenant connaissance après une chute de cheval
il perçoit cette solidarité : Je
sens des extases, des ravissements inexprimables à me fondre, pour ainsi dire,
dans le système des êtres, à m’identifier avec la nature entière. Septième
promenade.
Je me souviens de ce
commentaire de mon professeur de philosophie concernant Rousseau : "nul n’est mauvais volontairement pour la simple
raison que faire le bien fait du bien". J'ai eu la surprise de constater qu'Anne Cheng utilisait à peu près les mêmes termes dans son chapitre sur Mencius (Anne Cheng, Histoire de la pensée
chinoise, P. 173). Le commentaire de mon professeur de philosophie avait fait de moi un rousseauiste
enthousiaste. Nous y avons cru. C'était ça aussi mai 68. Nous étions jeunes.
A suivre,
A suivre,
Jean-Louis
Il est beaucoup question dans ces derniers posts de François Jullien. A noter que cet auteur vient de publier un livre : "De la vraie vie" dont Télérama dans son numéro 3669 a fait une recension très élogieuse.
RépondreSupprimerJean-Louis
Oups, je l'ai raté !
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