samedi 6 juin 2020

Comment faire lorsque la Raison achoppe ? Comment éviter la catastrophe ? La solution du Yi Jing


Le comparatisme permet de mieux comprendre une idée parce qu’elle est formulée sous plusieurs formes par des disciplines ou des cultures différentes. Dans un récent commentaire Françoise m’a semblé ouvrir une piste intéressante en comparant certaines figures du Taijiquan avec certaines figures du YiJing. Je ne connais pas du tout le Taijiquan, mais il serait intéressant de voir si, parfois, on ne va pas jusqu’à retrouver les mêmes noms pour désigner les figures de l’une et l’autre discipline.

Le YiJing se présente sous la forme de transformations, de combinaisons entre des structures différentes (les hexagrammes). En lisant Figures de l’immanence, je retrouve le même vocabulaire que celui utilisé par Lévi-Strauss pour étudier, les combinaisons, les transformations entre les mythes ou les masques indiens. Les hexagrammes comme les mythes se trouvent dans des rapports d’opposition, de symétrie, de renversement. Il serait, sans doute, intéressant de comparer la mise en œuvre de ces notions dans la relation qui existe entre les hexagrammes d’une part et la relation qui existe entre les mythes indiens d’autre part. Ce serait un beau sujet de mémoire ou de conférence (Peut-être un peu trop technique pour une conférence ?)

Nous allons retrouver ces rapports de symétrie et d’inversion dans les deux nouveaux couples d’hexagrammes que nous allons examiner maintenant. Ces deux nouveaux couples nous font voir la « fin » avant le « début » comme c’était le cas pour les hexagrammes 63 et 64.
Premier couple : les hexagrammes 23, Bo, fin du yang et 24 Fu, début du yang
Deuxième couple : les hexagrammes 43, Guai, fin du yin et 44, Gou, début du yin.

Nous allons consacrer ce post au premier de ces hexagrammes : le 23, Bo, le dépouillement du yang (du positif).
Cet hexagramme est composé de cinq traits yin et d’un trait yang en sixième position c’est-à-dire en voie d’évacuation. Le yin tend à expulser le yang au lieu de se soumettre à son influence. Cette figure est, par conséquent, « la plus néfaste ». Aussi le jugement porté à son égard est : « il n’y a pas intérêt à aller de l’avant ». Mais jusqu’où peut-on ne pas aller trop loin dans cette voie de l’élimination du facteur le plus positif (le yang) par celui qui l’est le moins (le yin) ? Voir : FJ P. 1283. Car telle qu’elle se présente cette figure nous précipiterait vers le drame, vers le déraillement du réel. Comment faire lorsque la raison achoppe ? Comment éviter la catastrophe ?

Selon François Jullien (P.1285) devant une telle difficulté, lorsque la raison achoppe une des solutions adoptées par la réflexion occidentale est de changer de Plan ; de passer de l’ordre de la Raison à l’ordre de la Foi ou du Mythe Ce n’est pas la solution adoptée par le Yi Jing qui va, au contraire, au lieu d’établir une rupture, s’efforcer de replacer le problème dans une continuité quitte à trouver des arrangements avec sa propre logique
Ainsi alors que l’hexagramme Bo pourrait se lire comme l’évacuation sans retour du positif, les commentaires vont réintégrer cet hexagramme dans la continuité d’un développement plus ou moins artificiel mais qui sauve les possibilités d’évolution. Selon Wang Fuzhi, l’hexagramme Bo se trouve dans la continuité de l’hexagramme N°20 Guan, « Regarder vers le haut ».
Or Guan renverse complétement la perspective en présentant cette accumulation de yin non pas comme une force montante menaçant de plus en plus le pouvoir du yang, mais comme le regroupement d’une multitude de plus en plus nombreuse élevant ses regards vers son seigneur (le yang en position souveraine, au cinquième trait et se soumettant à lui : Bo, le « dépouillement » ne correspond au fond qu’à un degré de plus dans cette évolution.

Ainsi grâce aux manipulations du commentaire, nous voici revenus à la vision rassurante de la régulation. La catastrophe est évitée.
A suivre,
Jean-Louis

2 commentaires:

  1. Cette vision (Wang Fuzhi) dépréciative du yin me dérange. Je préfère la vision taoïste.
    Jean-Louis

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  2. Que de matière à réflexion ! Retenons que la catastrophe est évitée, c'est d'actualité !

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