dimanche 21 juin 2020

Du « Souverain d’en haut » au « Ciel », des carapaces de tortues aux tiges d’achillée

Temple du Ciel à Pékin

Le passage de la dynastie des Shang (XVIII ème – XI ème siècle av JC) à la dynastie des Zhou (XI° - 256 av JC) se traduit par une transformation de la conscience religieuse qui s’est muée progressivement en une conscience rituelle de nature essentiellement cosmologique. Au plan lexical on glisse de di (divinité suprême) à tian (Ciel). (Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise P. 54, 55)

Cette transformation de la conscience religieuse s’accompagne d’un changement dans la technique divinatoire. On passe de l’interprétation des craquelures résultant du brûlage d’omoplates d’ovins ou de bovins ou de carapaces de tortues au décompte des tiges d’achillée. Ce changement dans la technique divinatoire marque sans doute le passage définitif d’une mentalité religieuse à une pensée naturaliste, les signes apparaissant comme la figuration d’une situation émergente et non plus comme la manifestation de la volonté des esprits. (Anne Cheng, ibidem P. 268, 269)

Le décompte des tiges d’achillée permet d’obtenir des résultats chiffrés. Les chiffres impairs (7 et 9) s’expriment par la notation d’un tiret long et continu : monogramme yang ; les bases paires (6 et 8) s’expriment par la notation de deux tirets courts, séparés par une discontinuité : monogramme yin. Les monogrammes étant combinés en 8 trigrammes qui se combinent ensuite en 64 hexagrammes. (ibidem P. 269)

Cette pensée naturaliste se constate bien au niveau des trigrammes qui représentent le jeu des forces, se renouvelant sans cesse, qui sont à l’œuvre dans la nature. (François Jullien, Figures de l’immanence P. 1316 et suivantes.)

Ces 8 trigrammes peuvent se lire et sont complémentaires deux par deux. C’est la position des traits qui permet de les apparier et qui donne la signification.

Trigrammes Qian (le ciel) et Kun (la terre)



Ils sont formés uniquement de traits yang et de traits yin et représentent la polarité initiale. A partir de là six trigrammes vont esquisser un système d’interactions

Trigrammes Zhen ( le tonnerre) et Kun (le vent)



Un trait yang apparaît au-dessous de deux traits yin et les met en branle : c’est Zhen, le tonnerre
Un trait yin apparaît au-dessous de deux traits yang c’est Kun, le vent qui diffuse, qui détend l’ébranlement. Tonnerre et vent : ébranlement/détente

Trigrammes Kan (l’eau) et Li (le feu)


Deux traits yin enchâssent un trait yang : c’est Kan, l’eau. Deux traits yang enchâssent un trait yin c’est Li, le feu. Le feu et l’eau, le chaud et le froid

Trigrammes Gen (la montagne) et Dui (la brume ou le lac) 


Un trait continu yang apparaît au-dessus de deux traits yin : c’est Gen, la montagne. Un trait continu yin apparaît au-dessus de deux traits yang c’est Dui, la brume (ou le lac). La montagne et la brume, le dur et le malléable, le masculin et le féminin.

Les trigrammes permettront souvent de donner un éclairage symbolique sur la signification des hexagrammes.
A suivre,
Jean-Louis

jeudi 18 juin 2020

A soixante-dix ans je suis les désirs de mon coeur ...


L’hexagramme Fu (voir post précédant) nous a permis de souligner l’unité du Ciel et de l’homme (sur cette unité voir Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, P168-169  ).  Cette unité se traduit par une unité entre le fonctionnement du Ciel et le fonctionnement de l’homme et nous avons vu que nous pouvons appréhender le fonctionnement du Ciel à partir de notre propre fonctionnement, à partir de notre expérience individuelle. Le Grand commentaire du Livre des mutations nous permet d’approfondir cette solidarité entre le fonctionnement du Ciel et le fonctionnement de l’homme.

Le propre du fonctionnement du Ciel, du procès de la réalité est d’être « vertueux » puisqu’il engendre de manière continue les existants. Cet engendrement se fait, nous dit le Grand commentaire, avec facilité et simplicité, de soi-même, par la simple interaction du ciel et de la terre, du yin et du yang. Notons que le yi de Yi Jing signifie mutation, changement mais aussi facilité. Cet engendrement ne dépend pas d’une causalité extérieure, n’implique pas un sujet transcendant. Il se fait sans forcer, sans peine ni dépense. C’est pourquoi la sagesse, telle que l’ont conçue les Chinois, est simplement de repérer comment marche le grand procès du monde et de se conformer à sa logique. FJ P1332. Si elle peut opérer en profondeur et transforme effectivement, c’est que la conduite du Sage se conforme à la marche des choses et demeure en prise sur l’efficacité que celle-ci déploie d’elle-même – silencieuse et discrète : elle est branchée sur la même logique d’immanence, à la fois simple et facile, que le grand procès du réel. FJ P. 1330

Dans Les Entretiens, Confucius décrit les grandes étapes de sa vie qui sont une marche vers une concordance entre son propre fonctionnement et le fonctionnement du monde.
吾十有五而志于學
三十而立
四十而不惑
五十而知天命
六十而耳順
七十而從心所欲不逾距    Les Entretiens II.4

A quinze ans, j’ai résolu d’apprendre.
A trente ans, je me tenais debout.
A quarante, je n’étais plus dans la confusion.
A cinquante, je savais à quoi j’étais destiné.
A soixante, j’avais l’oreille accordée.
A présent que j’en ai soixante-dix, je suis les désirs de mon cœur sans jamais passer la mesure.
(Traduction Anne Cheng)

A soixante-dix ans, la dernière étape de sa vie, Confucius arrive à une pleine concordance entre les désirs de son cœur et le fonctionnement du monde ; il peut agir selon les désirs de son cœur sans transgresser l’ordre du monde.
A suivre,
Jean-Louis