Je vous propose d’aborder
un autre livre relatif à la divination. Il s’agit de Les deux raisons de la
pensée chinoise Divination et idéographie de Léon Vandeermeersch, Edition
Gallimard, 2013.
Dés l’introduction,
l’auteur énonce la thèse de l’ouvrage : « la profonde différence
entre la culture chinoise et la culture occidentale, qui divergent l’une de
l’autre d’autant que l’écriture idéographique s’éloigne de l’écriture
alphabétique, a son origine dans l’opposition entre, en milieu chinois, une
pensée primitivement guidée par une forme très sophistiquée de divination, et,
en milieux gréco-latin et judéo-chrétien, une pensée primitivement guidée par
des croyances religieuses. »
La forme originelle de
l’écriture chinoise a été découverte sur des inscriptions oraculaires datant de
l’époque Yin (dernier quart du II° millénaire avant JC) gravées sur des
omoplates de bovins ou d’ovins ou des carapaces de tortues. Elles notent date,
le nom du devin, la question posée et le pronostic. L’accumulation de ces
« équations divinatoires » a permis le développement d’une
spéculation qui a pris, dans l’histoire de la pensée chinoise, la place de la
théologie dans la culture occidentale et à laquelle, pour bien marquer le
parallélisme avec la théologie LV donne le nom de manticologie (du grec
mantikos, divinatoire). Cette première écriture ne relève pas de la langue
parlée, elle est conçue moins pour la communication que pour la recherche
manticologique. L’écriture de la langue parlée ne s’est généralisée que très
tardivement, au VII° siècle de notre ère sous l’influence de l’écriture
indienne à travers le bouddhisme.
La manticologie, au lieu
de chercher à exploiter magiquement une correspondance entre l’ordre naturel et
un ordre surnaturel censé le commander, recherche rationnellement des
correspondances entre les phénomènes naturels eux-mêmes en se guidant sur des
analogies entre les phénomènes eux-mêmes, à la lumière d’une
« morpho-logique » structuraliste.
Comment s’explique l’émergence
de la manticologie au lieu de la théologie, à l’aube de culture chinoise ?
Par la nature du terrain religieux sur lequel cette culture a germé, celui du
chamanisme. Cette vision du monde s’est développée particulièrement dans la partie
septentrionale de la planète là où les forêts ont favorisés des cultures de
chasseurs. Dans le chamanisme, le surnaturel, que les grandes religions
transforment en entités divines, est représenté simplement comme le double
invisible du naturel visible, commandant celui-ci par une force magique. Ses
adeptes s’en rapportent à des chamans ayant le don de transe, par laquelle ils
peuvent passer du monde visible au monde invisible de la surnature, et
reconnaître l’action des forces qui s’y exercent afin que puisse être conjurée
leur adversité. Ce sont les chamans de la civilisation protochinoise qui sont
devenus les devins de l’époque des inscriptions oraculaires, en même temps que
se rationnalisaient en manticologie les croyances de la pensée magiques, de la
même façon que les prêtres des grandes religions s sont employés à rationaliser
la foi en théologie. Pourquoi seulement dans la Chine archaïque, et pas dans
d’autres cultures chamaniques ? Parce que là seulement la fonction de
chaman a été étatisée, ce qui a fait du chaman une sorte de clerc d’Etat,
préfigurant, dès la protohistoire chinoise, ce que sera le lettré dans la Chine
Impériale. A noter que lettré en chinois se dit ru, étymologiquement « faiseur
de pluie ».
En Chine la transe
chamanique a été remplacée par la divination pour communiquer avec les esprits.
De la divination a émanée la langue graphique qui a permis le développement d’une
spéculation « manticologique ». Reste à comprendre comment cette
spéculation « manticologique » est devenue une des raisons de la
pensée chinoise comme la spéculation théologique est devenue une des raisons de
la pensée occidentale.
A
suivre,
Jean-Louis
Ce post est un résumé de l’introduction de l’ouvrage de LV. Il s’agit d’un ouvrage érudit et d’un abord difficile. Dans ce résumé, je me suis contenté, le plus souvent, de coller bout à bout des extraits de citations.
RépondreSupprimerJ’espère tirer de cet ouvrage la matière d’une première partie présentant la divination en Chine, son importance dans la formation de la culture chinoise et introduisant le Yi Jing. Ce n’est pas gagné compte tenu de la complexité de l’ouvrage. Pour compléter cet article ma lectrice préférée (et unique) pourrait fournir le caractère ru (lettré) où apparaît l’élément de la pluie.
Jean-Louis
Voilà qui est fait ! Je ne suis peut-être pas l'unique lectrice. Espérons que les autres soient trop discrets.
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