jeudi 2 juillet 2020

La divination comme raison de la pensée chinoise

Je vous propose d’aborder un autre livre relatif à la divination. Il s’agit de Les deux raisons de la pensée chinoise Divination et idéographie de Léon Vandeermeersch, Edition Gallimard, 2013.

Dés l’introduction, l’auteur énonce la thèse de l’ouvrage : « la profonde différence entre la culture chinoise et la culture occidentale, qui divergent l’une de l’autre d’autant que l’écriture idéographique s’éloigne de l’écriture alphabétique, a son origine dans l’opposition entre, en milieu chinois, une pensée primitivement guidée par une forme très sophistiquée de divination, et, en milieux gréco-latin et judéo-chrétien, une pensée primitivement guidée par des croyances religieuses. »

La forme originelle de l’écriture chinoise a été découverte sur des inscriptions oraculaires datant de l’époque Yin (dernier quart du II° millénaire avant JC) gravées sur des omoplates de bovins ou d’ovins ou des carapaces de tortues. Elles notent date, le nom du devin, la question posée et le pronostic. L’accumulation de ces « équations divinatoires » a permis le développement d’une spéculation qui a pris, dans l’histoire de la pensée chinoise, la place de la théologie dans la culture occidentale et à laquelle, pour bien marquer le parallélisme avec la théologie LV donne le nom de manticologie (du grec mantikos, divinatoire). Cette première écriture ne relève pas de la langue parlée, elle est conçue moins pour la communication que pour la recherche manticologique. L’écriture de la langue parlée ne s’est généralisée que très tardivement, au VII° siècle de notre ère sous l’influence de l’écriture indienne à travers le bouddhisme. 

La manticologie, au lieu de chercher à exploiter magiquement une correspondance entre l’ordre naturel et un ordre surnaturel censé le commander, recherche rationnellement des correspondances entre les phénomènes naturels eux-mêmes en se guidant sur des analogies entre les phénomènes eux-mêmes, à la lumière d’une « morpho-logique » structuraliste.

Comment s’explique l’émergence de la manticologie au lieu de la théologie, à l’aube de culture chinoise ? Par la nature du terrain religieux sur lequel cette culture a germé, celui du chamanisme. Cette vision du monde s’est développée particulièrement dans la partie septentrionale de la planète là où les forêts ont favorisés des cultures de chasseurs. Dans le chamanisme, le surnaturel, que les grandes religions transforment en entités divines, est représenté simplement comme le double invisible du naturel visible, commandant celui-ci par une force magique. Ses adeptes s’en rapportent à des chamans ayant le don de transe, par laquelle ils peuvent passer du monde visible au monde invisible de la surnature, et reconnaître l’action des forces qui s’y exercent afin que puisse être conjurée leur adversité. Ce sont les chamans de la civilisation protochinoise qui sont devenus les devins de l’époque des inscriptions oraculaires, en même temps que se rationnalisaient en manticologie les croyances de la pensée magiques, de la même façon que les prêtres des grandes religions s sont employés à rationaliser la foi en théologie. Pourquoi seulement dans la Chine archaïque, et pas dans d’autres cultures chamaniques ? Parce que là seulement la fonction de chaman a été étatisée, ce qui a fait du chaman une sorte de clerc d’Etat, préfigurant, dès la protohistoire chinoise, ce que sera le lettré dans la Chine Impériale. A noter que lettré en chinois se dit ru, étymologiquement « faiseur de pluie ».


En Chine la transe chamanique a été remplacée par la divination pour communiquer avec les esprits. De la divination a émanée la langue graphique qui a permis le développement d’une spéculation « manticologique ». Reste à comprendre comment cette spéculation « manticologique » est devenue une des raisons de la pensée chinoise comme la spéculation théologique est devenue une des raisons de la pensée occidentale.
A suivre,
Jean-Louis



2 commentaires:

  1. Ce post est un résumé de l’introduction de l’ouvrage de LV. Il s’agit d’un ouvrage érudit et d’un abord difficile. Dans ce résumé, je me suis contenté, le plus souvent, de coller bout à bout des extraits de citations.
    J’espère tirer de cet ouvrage la matière d’une première partie présentant la divination en Chine, son importance dans la formation de la culture chinoise et introduisant le Yi Jing. Ce n’est pas gagné compte tenu de la complexité de l’ouvrage. Pour compléter cet article ma lectrice préférée (et unique) pourrait fournir le caractère ru (lettré) où apparaît l’élément de la pluie.
    Jean-Louis

    RépondreSupprimer
  2. Voilà qui est fait ! Je ne suis peut-être pas l'unique lectrice. Espérons que les autres soient trop discrets.

    RépondreSupprimer