In ouvrage cité de Léon Vandermeersch
Quelle
est la spécificité de la chéloniomancie ? Je vais citer textuellement LV
car ce passage me semble important. La
divination par la tortue « marque une mutation de la pensée magique
primitive en pensée rationnelle appuyant la divination sur une représentation
du cosmos. Cette mutation a été décisive sur deux plans. D’abord, au point de
vue des croyances, la chéloniomancie éloigne la divination de sa référence
originelle à la bienveillance ou à la malveillance d’entités divines implorées
par des sacrifices. La tortue, en effet, n’a jamais fait l’objet d’offrandes à
des divinités. Si elle devient un médium divinatoire, ce n’est pas comme
victime offerte en holocauste, mais comme entité surnaturellement dotée
d’homéopathie avec le cosmos (souligné par moi). Là se trouve le point
d’inflexion à partir duquel le rationalisme divinatoire chinois va diverger de
la voie conduisant à la théologie pour suivre celle qui conduit à une
métacosmologie. Ensuite, au point de vue des procédures techniques, la
chéloniomancie devient méthodiquement expérimentale. Il ne s’agit plus de
s’inquiéter de ce que veulent des puissances divines, mais de projeter, sur le
modèle réduit du cosmos que représente la tortue, les facteurs de la
conjoncture d’où doit résulter l’évènement sur lequel on s’interroge. Les
devins deviennent des spécialistes qui vont travailler à perfectionner cette
projection, en formalisant les craquelures divinatoires qui la constituent en
sorte qu’elles deviennent des diagrammes quasi scientifiques. »
Cette
évolution est portée par les progrès de la civilisation protochinoise à la fin
du néolithique : apparition des villes, division du travail, émergence d’n
Etat centralisé. A la fin du III° millénaire, la domestication du cheval et la
maîtrise du bronze permettent à la dynastie des Xia (fin III°millénaire- XVIII°
siècle av. JC) d’asseoir leur pouvoir. L’arrivée au pouvoir des Shang (XVIII°-
XI° siècle avant JC) consacre la supériorité de la civilisation des ethnies de
l’Est. Sous cette nouvelle dynastie, la chéloniomancie devient le maître rouage
de l’appareil des décisions étatiques, et atteint, dans les modalités de sa
mise en œuvre, son plus haut niveau. Les carapaces étaient préparées de manière
à produire des craquelures en forme d’une moitié de lettre H :
Bien
sûr, la craquelure effectivement obtenue pour chaque divination particulière
était une variante singulière de ces formes, variante dont l’aléa était
précisément identifié par la spéculation à l’aléa de la bonne ou mauvaise
fortune que la divination était censée révélée. On assiste à un effort de standardisation
et de rationalisation pour rendre plus facile et objective la lecture des
pronostics. Les devins surlignaient les craquelures à l’encre pour les rendre
plus lisibles. On trouve encore des traces de ces couleurs sur les pièces
exhumées. C’est pourquoi l’emblème de la fonction de devin était un
pinceau : pas un pinceau pour écrire – la fonction de devin est antérieure
à l’écriture (qui va être inventée dans le cadre de cette fonction) - un
pinceau pour colorier. C’est pourquoi la graphie qui signifie
« devin » shi, est paléographiquement le pictogramme d’une
main qui brandit un pinceau touffe en l’air. Voir illustration de ce post. Cette
illustration est très intéressante. Elle donne l’origine de la graphie
de :
-
shi, devin, greffier,
annaliste, historien
-
shi,
affaire/évènement (objet de divination opérée par le devin
-
shu, écrire
(originellement surligner à l’encre la craquelure divinatoire).
Venons-en
à l’interprétation de la figure en demi-H. Le trait vertical est dit « tronc »,
le trait horizontal est dit « branche ». Le pronostic de la
divination dépend de la forme et de la position des traits. Ainsi une branche
montante est de bon augure, une branche descendante est de mauvais augure,
comme sont aussi de mauvais augure une cassure de la branche ou sa terminaison
en fourche. Les multiples variantes des formes et des positions des traits sont
ramenées à quelques diagrammes types au nombre de cinq ou six. On voit ainsi apparaître
un début de numérisation
« Ce
qu’il faut reconnaître c’est l’émergence de l’esprit même de la manticologie
chinoise, celui de la rationalité divinatoire réduisant l’infinité des aléas
des conjonctures du monde phénoménal à l’intelligibilité de quelques figures
formalisées se prêtant à une sorte de calcul. » LV op. cité.
Cette
intelligibilité du monde à partir de quelques figures trouvra toute son
expression avec la divination par l’achillée que nous aborderons dans un
prochain post
A
suivre,
Jean-Louis
"homéopathie avec le cosmos " ? Je ne comprends pas. Et toi?
RépondreSupprimerEffectivement le terme d’homéopathie employé ici me semble curieux. Je l’ai toutefois conservé parce que c’est le mot utilisé par LV (P.29). Cela permet d’en discuter. Je pense qu’il a voulu parler de similitude d’aspect ou de forme (il emploie souvent le terme de morpho-logique à propos de la culture chinoise) mais ce n’est pas, je suis d’accord, le sens d’homéopathie. Si je fais une conférence je ne conserverai pas ce terme.
RépondreSupprimerUn autre point qui me trouble est le suivant. LV : « Entre les innombrables formes qu’a pu prendre, dans toutes les cultures, la façon dont les hommes se sont imaginé qu’ils pouvaient prédire l’avenir, celle qui s’est le plus répandue chez les chasseurs et éleveurs des steppes de l’Eurasie est l’ostéomancie, c’est-à-dire la divination sur os ».
Or, les chasseurs et éleveurs des steppes ce sont les « barbares » pour les Chinois. La culture chinoise s’étant développée, à ma connaissance, dans une civilisation agricole située dans le bassin inférieur et moyen du Fleuve Jaune. J’ai un peu de mal à faire le lien entre les deux. Il faudrait creuser la protohistoire chinoise et les liens entre les premières dynasties (Xia et Shang) et les chasseurs et éleveurs des steppes. Je regrette ici un manque de vulgarisation de la part de LV.
A noter que LV est, pour Anne Cheng une référence pour traiter de la divination chinoise, de la rationalité divinatoire chinoise. Elle cite souvent l’ouvrage de LV « La voie royale, Wangdao ». Les « deux raisons de la pensée chinoise » n’était pas paru lorsqu’elle a écrit son « Histoire de la pensée chinoise ».
Il faudrait pouvoir échanger avec LV.
Jean-Louis