On
le sait, la réalité chinoise est structurée en couples d’opposés
complémentaires. Dès lors le changement, l’évolution consistent au passage, à
la transition d’un opposé vers son contraire. Comment est pensée cette
transition ? « on passe du Yin au Yang, de l’indifférencié au
différencié par transition insensible. » Anne Cheng
Je
vous propose d’examiner trois représentations de cette transition.
La
figure du Taijitu
On
peut remarquer que la diminution d’un opposé est compensée par l’augmentation
de son contraire. Entre les opposés il y a un rapport compensateur.
Chaque
opposé contient le germe, l’amorce de sa transformation (c’est le petit
rond de couleur opposée).
Sous
l’influence de cette amorce, la transition se fait progressivement,
insensiblement (voir remarque d’Anne Cheng).
Le
Yi Jing
Je
prendrai comme exemple l’hexagramme 41, Sun, la diminution. Cet hexagramme
dérive de Tai, l’essor par interversion des traits supérieurs des deux
trigrammes.
Hexagramme 41, Sun, la diminution
Il
y a diminution du trigramme inférieur puisque le trait Yang (9) est remplacé par un trait Yin (6). Cette
diminution est compensée par l’augmentation du trigramme supérieur où le trait
Yin est remplacé par un trait Yang. On retrouve le rapport compensateur
entre les opposés.
On
retrouve la notion de germe, d’amorce dans la mesure où le changement
commence au niveau supérieur des trigrammes, donc à un niveau superficiel. « Amorce
subtile d’une transformation compensatrice » François Jullien P. 1251
Le
commentaire symbolique donne une illustration symbolique de ce rapport
compensateur sur le plan moral. Il est dans la nature du Yang d’être « dur »
et dans la nature du Yin d’être malléable. Un excès de Yang aboutit à un
durcissement qui sur le plan moral se traduit par la colère. Un excès de Yin produit
un amollissement qui nous fait céder aux « désirs ». En remplaçant,
dans le trigramme inférieur un trait Yang par un trait Yin on apaise la colère
et on obtient le trigramme du lac Dui dont la valeur affective est la joie.
En remplaçant, dans le trigramme supérieur, un trait Yin par un trait Yang on
obtient le trigramme Gen, la montagne dont la valeur morale est l’immobilité.
Le désir est stoppé. Les deux éléments montagne et eau sont à leur place et le « paysage
intérieur » est harmonieux. François Jullien P. 1253.
Voyons
maintenant comment est représenté la transition dans la peinture de paysage et
la poésie
La
peinture de paysage et la poésie
Je
prendrai comme exemple une peinture de Shitao intitulée Ruisseau en hiver reproduite
dans le livre de François Cheng, Shitao ou la saveur du monde,
éditions Phébus.
Cette peinture contient un poème de Shitao dont voici la
traduction par François Cheng.
Personne
en vue sur le sentier ancien.
Le
ruisseau sinue dans le vallon vide.
L’oiseau
seul connaît le cœur du printemps :
Son
chant déjà résonne au sein des monts !
Le
poème et la peinture évoquent la transition de l’hiver vers le printemps (du
Yin au Yang). Nous retrouvons les caractéristiques de la transition décrites
dans la figure du Taijitu et dans le Yi Jing, particulièrement la notion de germe,
d’amorce cachée (dans le poème c’est l’oiseau) qui conduit à la transformation.
Je reproduis le commentaire de François Cheng particulièrement beau et
explicite.
Ne
cherchez pas l’oiseau dont parle le poème …Ne cherchez pas non plus le printemps.
L’art chinois exige du regard qu’il découvre ce qui n’est pas montré. Nous
sommes bien en hiver, et pas le moindre bourgeon en vue. Le type de trait élu
ici par l’artiste, sec, amer comme le thé vert, est en harmonie avec la saison :
il évoque le manque, l’ascèse de la chair repliée sur elle-même, le refus du
confort satisfait de soi. Il y a de la grandeur dans cette âpre réfutation du
bien être.
Mais
ne nous y trompons pas, le pinceau dit aussi autre chose, et le poème nous met
sur la voie. Que l’œil se force à voir à voir ce que cache cet hiver-là. Quand
personne n’est en vue, quelqu’un pourtant est là. Quand le vallon n’a à offrir
que son vide, une présence déjà l’habite. Que font là ces rochers prosternés ?
Dans quelle attente ?
On
nous montre l’hiver. Et nous sommes requis d’entendre le printemps.
Voilà
ces diverses représentations de la transition s’éclairent mutuellement.
Notons
cette notion de germe, d’infime amorce importante dans la pensée chinoise et particulièrement
dans le Yi Jing. Voir Anne Cheng P 280 : Dans les Mutations se trouve
la formulation la plus achevée de l’extrême attention que prête la pensée
chinoise à ce qui est en germe, ce qui n’est encore qu’en gestation.
A
suivre,
Jean-Louis
J'aime bcp ce post, la rigueur mathématique du Yi Jing adoucie par la peinture et la poésie
RépondreSupprimerJ'aime bcp ce post, la rigueur mathématique du Yi Jing adoucie par la peinture et la poésie
RépondreSupprimerMerci. Une conférence commence à prendre forme. Ce qu'il y a de bien en lisant Figures de l'immanence c'est qu'après la lecture de Lévi-Strauss ou de Léon Vandermeersch parait facile.
RépondreSupprimerJean-Louis