Hexagramme 32, Heng, la durée
L'examen de cet hexagramme est intéressant car il va nous permettre d'approcher une certaine conception de la durée et à travers la durée du temps chinois et de voir face à cette conception l'attitude du Sage mais aussi du consultant du Yi Jing qui désire obtenir une aide à la décision.
Nous venons d’examiner
l’hexagramme 31, Xian, l’incitation stimulatrice qui procède par
transformation de Pi, le déclin et qui représente une voie pour dépasser
celui-ci. Nous allons maintenant examiner l’hexagramme 32, Heng, la
durée conservatrice qui procède par transformation de Tai, l’essor, la
prospérité et qui représente une voie pour conserver celui-ci. Les deux traits
permutés sont les traits inférieurs des trigrammes : les premier et
quatrième.
Hexgramme 11, Tai, l'essor
Mais comme Xian, l’incitation,
Heng, la durée, est une figure ambigüe. Elle est bien nécessaire pour
maintenir Tai, l’essor, la prospérité. Mais elle peut aussi aboutir à la
sclérose. Tout dépend donc de comment elle est envisagée.
Dés lors la figure peut
s’interpréter de deux manières.
Dans
un sens favorable.
Ici l’analyse de Heng,
la durée, est intéressante car elle va nous permettre de confronter deux
conceptions de l’Idéal moral et de considérer le rôle joué dans la morale
chinoise par les notions d’intégrité, de rectitude (zheng), de centre ou
de Milieu (zhong).
L’idéal
moral peut être fondé sur les valeurs qui trouvent leur origine dans une parole
révélée par Dieu. L’idéal sera alors absolu, d’origine transcendante, immuable
dans la durée. Dans l’optique chinoise ce n’est pas cette conception de la
durée et de l’Idéal qui permet de conserver Tai, l’essor, la prospérité.
Que signifie, dans ce cas la durée ? Simplement que, comme on le constate
à propos de la nature, le processus n’a pas de fin comme en témoigne
l’alternance cyclique des astres ou des saisons. La durée ainsi comprise
s’oppose à la fixité. La conduite du Sage se calque sur la nature.
« La
persévérance du Sage dans la conduite ne signifie pas pour autant que le Sage
n’évolue pas pour s‘adapter aux circonstances (selon l’expression commune, le
Sage, en Chine, reste intègre mais sans s’obstiner.) » François Jullien P.
1244.
Voir
sur ce point Anne Cheng, Introduction aux Entretiens. « Un esprit
occidental ne manque pas de s’étonner de cette absence de critères absolus, de
valeurs abstraites, dans la « philosophie » de Confucius. Mais ce qui
en fait l’originalité, c’est précisément cette intuition que le critère du
Juste change avec le temps et les circonstances (VI,10 ; VIII,13, XV,6) ».
L’Idéal
du Sage chinois n’est pas un Idéal transcendant, absolu. Pour la nature, comme
pour le Sage ou le Souverain la durée s’obtient en s’adaptant aux
circonstances, aux continuelles variations tout en restant intègre, en
conservant sa rectitude (zheng, sa vertu au sens du mot latin virtus c’est-à-dire
au cœur, à l’énergie qui réside en quelqu’un), en se maintenant « au
centre » c’est-à-dire en empruntant la voie juste qui implique le lieu
adéquat et le moment propice. Ce centre, ce Milieu (zhong), « n’est donc
pas un point équidistant entre deux termes, mais bien plutôt ce pôle dont
l’attraction nous tire vers le haut, créant et maintenant dans toute situation
de vie une tension qui nous fait aspirer toujours davantage à la meilleure part
de ce qui naît entre nous… faute de cette tension, de cette exigence constante
maintenue au gré des mutations, l’ordre de vie qu’est le Dao ne saurait
se créer, ni perdurer. » Anne Cheng, Histoire de la pensée
chinoise.
Or
ce sont précisément les deux traits centraux des trigrammes (les deuxième et
cinquième trait) qui illustrent cette durée véritable qui « ne s’obtient
qu’à condition de maintenir un juste équilibre au travers de la modification ».
Dans
un sens défavorable.
C’est
par exemple l’illusion illustrée par le premier trait, nous dit Wang Fuzhi, de
pouvoir atteindre la durée par une illumination soudaine, comme le pensent les
bouddhistes de l’Ecole du Sud « subitiste ».
Un
autre type d’illusion est de penser pouvoir atteindre la durée par chance. « Comme
au quatrième trait (« pas de gibier dans le champ » indique de façon imagée
la formule) : ce trait yang vient se tapir au pied des traits yin, tel le
chasseur à l’affût, mais sans accéder à une position stable que représenterait
pou lui le cinquième trait. Or bien des exemples historiques nous prouvent,
ajoutent Wang Fuzhi, combien il est périlleux de partir en quête de la durée …
comme on guette une occasion ». François Jullien P 1244, 1255.
« La
durée ne s’oppose pas à l’évolution, elle consiste au contraire dans la possibilité
de pouvoir toujours évoluer. Mais reste à comprendre en quoi consiste cette
évolution. » FJ P. 1246. C’est ce que nous verrons dans un prochain
article.
Voici,
bien sûr, une lecture « philosophique » du Yi Jing.
Cet
article sur Heng, la durée nous a permis d’aborder de nombreuses notions
mais bien sûr surtout celle du temps « chinois ». « Cette
exigence d’adaptation à la mutation se traduit au premier chef dans la notion d’ »opportunité »
qui conçoit le temps non pas comme un écoulement homogène et régulier, mais
comme un processus constitué de moments plus ou moins favorables » Anne
Cheng P. 286. Le rôle du Yi Jing étant bien sûr de nous aider à saisir
ces moments favorables, ces opportunités.
A
suivre,
Jean-Louis
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire