vendredi 1 mai 2020

Heng, hexagramme 32, la durée, le temps chinois

Hexagramme 32, Heng, la durée

L'examen de cet hexagramme est intéressant car il va nous permettre d'approcher une certaine conception de la durée et à travers la durée du temps chinois et de voir face à cette conception l'attitude du Sage mais aussi du consultant du Yi Jing qui désire obtenir une aide à la décision.

Nous venons d’examiner l’hexagramme 31, Xian, l’incitation stimulatrice qui procède par transformation de Pi, le déclin et qui représente une voie pour dépasser celui-ci. Nous allons maintenant examiner l’hexagramme 32, Heng, la durée conservatrice qui procède par transformation de Tai, l’essor, la prospérité et qui représente une voie pour conserver celui-ci. Les deux traits permutés sont les traits inférieurs des trigrammes : les premier et quatrième. 

 Hexgramme 11, Tai, l'essor

                                                        Hexagramme 32, Heng, la durée
 
Mais comme Xian, l’incitation, Heng, la durée, est une figure ambigüe. Elle est bien nécessaire pour maintenir Tai, l’essor, la prospérité. Mais elle peut aussi aboutir à la sclérose. Tout dépend donc de comment elle est envisagée.
Dés lors la figure peut s’interpréter de deux manières.
Dans un sens favorable.
 Ici l’analyse de Heng, la durée, est intéressante car elle va nous permettre de confronter deux conceptions de l’Idéal moral et de considérer le rôle joué dans la morale chinoise par les notions d’intégrité, de rectitude (zheng), de centre ou de Milieu (zhong).
L’idéal moral peut être fondé sur les valeurs qui trouvent leur origine dans une parole révélée par Dieu. L’idéal sera alors absolu, d’origine transcendante, immuable dans la durée. Dans l’optique chinoise ce n’est pas cette conception de la durée et de l’Idéal qui permet de conserver Tai, l’essor, la prospérité. Que signifie, dans ce cas la durée ? Simplement que, comme on le constate à propos de la nature, le processus n’a pas de fin comme en témoigne l’alternance cyclique des astres ou des saisons. La durée ainsi comprise s’oppose à la fixité. La conduite du Sage se calque sur la nature.
« La persévérance du Sage dans la conduite ne signifie pas pour autant que le Sage n’évolue pas pour s‘adapter aux circonstances (selon l’expression commune, le Sage, en Chine, reste intègre mais sans s’obstiner.) » François Jullien P. 1244.
Voir sur ce point Anne Cheng, Introduction aux Entretiens. « Un esprit occidental ne manque pas de s’étonner de cette absence de critères absolus, de valeurs abstraites, dans la « philosophie » de Confucius. Mais ce qui en fait l’originalité, c’est précisément cette intuition que le critère du Juste change avec le temps et les circonstances (VI,10 ; VIII,13, XV,6) ».

L’Idéal du Sage chinois n’est pas un Idéal transcendant, absolu. Pour la nature, comme pour le Sage ou le Souverain la durée s’obtient en s’adaptant aux circonstances, aux continuelles variations tout en restant intègre, en conservant sa rectitude (zheng, sa vertu au sens du mot latin virtus c’est-à-dire au cœur, à l’énergie qui réside en quelqu’un), en se maintenant « au centre » c’est-à-dire en empruntant la voie juste qui implique le lieu adéquat et le moment propice. Ce centre, ce Milieu (zhong), « n’est donc pas un point équidistant entre deux termes, mais bien plutôt ce pôle dont l’attraction nous tire vers le haut, créant et maintenant dans toute situation de vie une tension qui nous fait aspirer toujours davantage à la meilleure part de ce qui naît entre nous… faute de cette tension, de cette exigence constante maintenue au gré des mutations, l’ordre de vie qu’est le Dao ne saurait se créer, ni perdurer. » Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise.
Or ce sont précisément les deux traits centraux des trigrammes (les deuxième et cinquième trait) qui illustrent cette durée véritable qui « ne s’obtient qu’à condition de maintenir un juste équilibre au travers de la modification ».

Dans un sens défavorable.
C’est par exemple l’illusion illustrée par le premier trait, nous dit Wang Fuzhi, de pouvoir atteindre la durée par une illumination soudaine, comme le pensent les bouddhistes de l’Ecole du Sud « subitiste ».
Un autre type d’illusion est de penser pouvoir atteindre la durée par chance. « Comme au quatrième trait (« pas de gibier dans le champ » indique de façon imagée la formule) : ce trait yang vient se tapir au pied des traits yin, tel le chasseur à l’affût, mais sans accéder à une position stable que représenterait pou lui le cinquième trait. Or bien des exemples historiques nous prouvent, ajoutent Wang Fuzhi, combien il est périlleux de partir en quête de la durée … comme on guette une occasion ». François Jullien P 1244, 1255.

« La durée ne s’oppose pas à l’évolution, elle consiste au contraire dans la possibilité de pouvoir toujours évoluer. Mais reste à comprendre en quoi consiste cette évolution. » FJ P. 1246. C’est ce que nous verrons dans un prochain article.

Voici, bien sûr, une lecture « philosophique » du Yi Jing.  

Cet article sur Heng, la durée nous a permis d’aborder de nombreuses notions mais bien sûr surtout celle du temps « chinois ». « Cette exigence d’adaptation à la mutation se traduit au premier chef dans la notion d’ »opportunité » qui conçoit le temps non pas comme un écoulement homogène et régulier, mais comme un processus constitué de moments plus ou moins favorables » Anne Cheng P. 286. Le rôle du Yi Jing étant bien sûr de nous aider à saisir ces moments favorables, ces opportunités.
A suivre,
Jean-Louis

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