Shitao, l'automne aux abords de Yangzhou, in François Cheng Shitao, La saveur du monde
Les rochers aux formes indécises - là-bas, la rive s'estompe en un vague horizon, F Jullien, le nu impossible
Pour
le dire schématiquement, la pensée chinoise n’est pas la pensée de l’Etre mais
du processus, n’est pas la pensée de la forme arrêtée mais de la transformation.
C’est ce que nous dit le Yi Jing dès son titre, c’est ce que nous cessent
de nous répéter les auteurs et les artistes chinois, particulièrement dans
leurs peintures de paysage.
Dès
lors comment travaillent les processus ? Comment s’opèrent les
transformations ? Nous avons commencé à le voir dans le post précédant
avec l’hexagramme 41, Sun, la diminution. Nous allons continuer notre exploration
avec l’hexagramme suivant, Yi, l’augmentation qui nous délivre le même
message mais sous une nouvelle formulation, celle de la « voie du bois ».
D’une
manière logique, la diminution est conçue à partir d’un état de plénitude et procède
donc de Tai, la prospérité et l’augmentation est conçue à partir d’un
état de déficit et procède de Pi, le déclin. Yi, l’augmentation
dérive de Pi par interversion des traits inférieurs des trigrammes.
hexagramme 42, Yi, l'augmentation
Cette
permutation des traits a plusieurs conséquences. Le quatrième trait de Pi, devient
le premier trait de Yi. Il y a donc augmentation du Yin et diminution du Yang.
Mais cette diminution du yang joue en faveur du yang lui-même puisqu’elle le
met en position d’avenir. Ainsi le profit n’est pas à attendre sur un autre
plan (dans la justice divine, le paradis) mais il découle des positions
respectives au sein de l’hexagramme). Le profit n’arrive pas sur un plan
transcendant mais immanent. C’est du seul jeu propre à la configuration que
ce profit résulte : en me diminuant pour accroitre l’autre, je me suis
rétabli du même coup en position d’initiative et me trouve appelé à progresser.
François Jullien P. 1258.
Mais
cette interversion des traits a une autre conséquence. Elle transforme le
trigramme inférieur en Zhen, le tonnerre qui représente la secousse initiale déclenchant
le processus et le trigramme supérieur en Xun, le vent mais aussi le bois qui
représente la propagation en tous lieux, continue d’une telle secousse. Ce que
le commentaire du jugement appelle ainsi la « voie du bois » est une marche
insensible, en même temps qu’irradiante, qui met en valeur l’efficacité infinie
du discret, du diffus, de l’incessant, en l’opposant à la stérilité de l’action,
toujours ponctuelle, à la fois spectaculaire et bornée. Cette « voie du
bois » n’est pas celle d’un logos organisateur, d’une idée créatrice mais
de la communication extensive, progressive d’un premier ébranlement. François
Jullien P.1261.
C’est
cette « voie du bois » que la les artistes chinois n’ont cessé de
représenter dans les peintures de paysage. Là encore, c’est la transition
qui prévaut. Au monde grec de la forme, elle qui se détache, fixe, tranchante,
celui de la Forme hégelienne, la Chine oppose l’attention portée au discret
comme au continu. …Elle peint, non la forme arrêtée, mais le monde
accédant à la forme ou revenant à son fonds indifférencié. Elle nous fait
remonter à la racine du visible pour rencontrer l’invisible, au lieu de concevoir
celui-ci sur un autre plan et d’une autre nature François Jullien, Le nu
impossible P. 44,45
C’est
ce que nous dit la théorie chinoise de la peinture « La montagne sous
la pluie ou la montagne par temps clair sont faciles à figurer. Mais, que du
beau temps, on tende à la pluie, ou que de la pluie on tende au retour du beau
temps ; s’héberger un soir au sein
des brouillards …quand tout le paysage se perd dans la confusion :
émergeant, - immergeant, entre ce qu’il y a et ce qu’il n’y a pas – voilà ce qu’il
est difficile de figurer (Quian Wenshi). Non pas un état défini et tranché des
choses, mais le passage d’un état à un autre, entre les stades opposés de l’actualisation
et de l’indifférenciation : de l’un à l’autre, la peinture chinoise peint
la trans-formation. Elle peint l’effet de vague et de flou – d’indécision
(huang hu dit le Laozi § 14) – qui va de pair avec la mutation. Or, tout est
toujours en mutation. Tandis que la pensée grecque valorise la forme et le
distinct, d’où son culte de la Forme qu’exemplifie le Nu, la Chine pense –
figure – le transitionnel, et l’indiciel (sous les modes du subtil, du fin, de
l’indiciel) ; et c’est en quoi sa pensée est précieuse. Ibidem P. 54
Voici
un tableau de Shitao intitulé Bruits d’orage au loin in François Cheng,
Shitao, La saveur du monde.
Nul doute que le Sage dans sa cabane, en
entendant le tonnerre au loin, en contemplant le procès du monde, cette
brume qui est partout, qui sinue de plan en plan, comme pour vous rappeler que
rien n’est jamais séparé, que la voix du lointain est la voix familière (F. Cheng)…nul
doute que ce Sage ne songe aux plus anciens ouvrages de sa culture, ne songe à
l’hexagramme 42 du Yi Jing, ne songe à la « voie du bois ».
Jean-Louis
Il me semble avoir vu quelque part que cette voie du bois s'appliquait aussi à la stratégie militaire. Mais je ne retrouve pas la référence. Si un des nombreux lecteurs enthousiastes de ce blog pouvait combler ma lacune, je lui serait reconnaissant.
RépondreSupprimeril faut lire je lui serais reconnaissant. Je devrais me relire avant de publier ...
SupprimerJean-Louis
Une manière de rendre une conférence sur le Yi Jing attrayante serait d'associer les hexagrammes avec des peintures chinoises. Mais cela demande beaucoup de connaissances sur le Yi Jing et la peinture.
RépondreSupprimerJean-Louis
Pour l'art militaire, je n'ai pas d'idée.
RépondreSupprimerCe post me fait aussi penser que le bois est associé au printemps, saison de croissance. La suggestion d'assovier peinture et hexagrammes est extrêmement séduisante et porteuse de sens, du travail en vue !
Françoise