samedi 8 août 2020

Une vision du monde réarticulée par l’idéographie

 

Dans son ouvrage Les deux raisons de la pensée chinoise, Léon Vandeermeersch, après avoir examiné la divination, première raison de la pensée chinoise, consacre de longs développements à l’idéographie, deuxième raison de la pensée chinoise. Je renvoie le lecteur intéressé à l’ouvrage cité. Mais ces développements sont forts érudits et techniques et, pour moi en tout cas, d’un accès difficile. Par chance j’ai trouvé un petit texte du même auteur, paru dans Sagesses chinoises, qui résume la pensée de l’auteur d’une manière beaucoup plus accessible. C’est ce petit texte que je vous présente dans ce post. J’inviterai également à suivre quelques pistes fournies par Anne Cheng et Viviane Alleton sur le même sujet.

 Mais commençons par la présentation de l’idéographie chinoise par Léon Vandermeersch.

En Chine, l’écriture fut inventée à l’époque Yin (XIII°-XI° siècle av J.C), c’est-à-dire à la fin de la dynastie des Shang, par des devins en vue d’enregistrer des protocoles de divination sous formes de courtes notices Comme on l’a vu précédemment, la divination à l’époque était pratiquée sur des omoplates de bovins ou des carapaces de tortues soumises au feu en vue d’obtenir des craquelures. Les craquelures avaient une fonction proprement divinatoire, les notices avaient pour fonction d’archiver certaines questions soumises à divination.

Le lexique de ces inscriptions comporte près de 4000 idéogrammes. LV définit l’idéogramme de la manière suivante : « signe d’écriture (graphie) employé dans les écritures non alphabétiques pour représenter un mot entier ».

Une telle quantité de graphies n’aurait pu être maîtrisée sans une rationalisation très poussée du système de l’écriture idéographiques. Les devins y réussirent si bien que l’écriture chinoise, à la différence des autres écritures, n’a pas évolué vers l’écriture alphabétique mais a conservé sa forme idéographique. Ce perfectionnement a consisté essentiellement à recomposer chaque idéogramme de manière à faire apparaître un radical sémantique et un discriminant phonétique. En outre les traits composant les idéogrammes ont été ramenés à huit.

« Et comme la syntaxe même du discours noté idéographiquement est restée profondément marquée par l’extrême concision et le parallélisme (la parfaite symétrie terme à terme de deux propositions couplées) des formules oraculaires originelles, s’est en définitive opérée dans la Chine ancienne la formation d’une langue spécifique, bien plus éloignée de la langue parlée que ne l’est en général la langue écrite ».

Léon Vandermeersch décrit les grandes étapes de l’évolution de cette langue graphique.

-     -   à l’origine, on l’a vu, une fonction d’archivage des protocoles divinatoires

-       -  puis un usage purement rituel et administratif

-    -    « après Confucius cette langue s’est ouverte à une utilisation proprement littéraire. Elle a alors donné naissance à une littérature totalement détournée des genres qui ailleurs sont les premiers piliers de la création littéraire (ceux de l’épopée, du théâtre, du roman), mais qui n’en a pas moins extraordinairement brillé dans ce qu’il faut considérer comme les deux grands genres de la littérature chinoise : la prose d’idées, où la langue graphique est apte à procurer à la pensée une force d’expression incomparable, et la poésie du sentiment de de la nature, où elle peut atteindre un lyrisme sans égal. »

-     -   vers les VIIIème/IXème siècle ap. JC, sous l’influence de l’écriture indienne et du bouddhisme s’est développé ce que l’on appelle la langue parlée écrite (jusque-là, le chinois parlé est resté une langue sans écriture) et avec elle le développement de l’épopée, du théâtre et du roman, genres considérés comme une littérature de second ordre.

Léon Vandermeersch souligne que la langue graphique double le registre des effets phoniques par une palette d’images sémantiques. Ce point est développé par Anne Cheng dans son Histoire de la pensée chinoise P. 35 « Au lieu de s’appuyer sur des constructions conceptuelles, les penseurs chinois partent des signes écrits eux-mêmes. Loin d’être une concaténation d’éléments phonétiques en soi dépourvus de signification, chacun d’eux constitue une entité porteuse de sens et se perçoit comme une chose parmi les choses ». Anne Cheng donne des exemples qui supposent le maniement des caractères chinois. J’invite le lecteur à se reporter à son ouvrage.

 La langue graphique n’a rien perdu de sa vitalité comme art. Et Léon Vandermeersch de conclure « En somme, dans la peinture à l’encre comme dans la calligraphie, comme dans la littérature, c’est une même culture idéographique qui décrypte le monde. »

A suivre,

Jean-Louis

 


1 commentaire:

  1. Bien que fort intéressant le texte de LV pose beaucoup de questions. Notamment l’affirmation que jusqu’au IX ème siècle le chinois parlé est resté une langue sans écriture. Pour une approche un peu différente de l’écriture chinoise voir L’écriture chinoise de Viviane Alleton dans la collection Que sais je ?
    Jean-Louis

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