Nous avons vu qu’une des conditions de la divination chinoise était la non séparation du virtuel et du manifeste rendant possible la lecture d’une situation encore virtuelle avant son actualisation. Cette lecture se fait à partir des hexagrammes du Yijing qui sont censés être le reflet, être la figure des situations réelles auxquelles nous sommes confrontées. Pour ce faire, il faut qu’il existe une corrélation entre les hexagrammes et les situations réelles.
Selon Léon Vandermeersch cette notion de corrélativité est traduite en chinois par le mot lun ( ) qui signifie généralement « relation de parenté ». « En effet, ce qui, dans la pensée chinoise, tient lieu de la catégorie de causalité dans la pensée occidentale, est un mode de relation à l’image des relations de parenté, mode de relation dont les meilleurs analystes occidentaux de cette forme de pensée ont tous relevé la spécificité et l’importance capitale, Granet en l’appelant système de correspondances, Needham et Graham la pensée corrélative ».
Cette corrélativité peut revêtir plusieurs formes. Ce peut être une corrélativité de « propriétés ». Ainsi l’été sera une saison yang parce qu’il y fait chaud et sec, ces qualités étant des qualités yang. Cette corrélativité peut concerner la « façon d’agir », de se mouvoir. Seront corrélés tous les éléments qui ont la même façon de se mouvoir. C’est le cas pour les wuxing chinois terme traduit à tort par « cinq éléments ». « Les wuxing ne sont pas des substances – le concept de substance n’est d’ailleurs pas premier dans la pensée chinoise – mais des formes fondamentales des mouvements et changements affectant incessamment tous les êtres de l’univers ». Ainsi le bois possède le mouvement de pouvoir se redresser après avoir été courbé. A ce mouvement est associé l’idée de renouveau, de renouvellement. Seront corrélés au bois : le printemps parce qu’il marque le renouveau de l’année, la direction de l’Est parce que c’est à l’Est qu’apparaît une nouvelle journée …etc. Cette corrélativité peut concerner un apparentement de formes, de structures. Cet apparentement de formes nous l’avons déjà trouvé avec la tortue dont le corps est apparenté au cosmos. Nous le retrouvons avec les hexagrammes qui sont censés avoir la même structure que les situations réelles.
De ce qui précède Léon Vandermeersch en déduit deux grandes caractéristiques de la pensée chinoise informées par la divination.
- « Le premier point est qu’à l’inverse de la pensée occidentale, la pensée chinoise saisit la nature des choses non pas comme sub-stancielle, c’est-à-dire fondamentalement stable, mais comme sub-mutationnelle, c’est-à-dire fondamentalement changeante (chaque chose ayant sa façon propre de changer) ». Toutes les cultures ont bien saisi l’importance du mouvement : Héraclite « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». L’originalité de la pensée chinoise est de considérer que les éléments non seulement sont en mouvement mais sont des mouvements : les wuxing, mais aussi les organes du corps humain (voir Claude Larre et Elisabeth Rochat de la Vallée).
- Le second point est que la façon d’agir des éléments n’est pas saisie sous la catégorie de la causalité mais sous la catégorie de la corrélativité. « La pensée corrélative est une pensée structuraliste qui explique les choses par l’apparentement (lun (2):) de leurs structures. Ce qui apparente les structures ce sont les parallélismes, les similarités de leurs formes. La pensée chinoise est une pensée structuraliste, qui fonctionne sur une morphologique au lieu de l’étio-logique sur laquelle fonctionne la pensée occidentale de la causalité. Cette caractéristique est évidemment la marque de la raison divinatoire ».
On comprend mieux maintenant l’importance de la divination dans la formation de la pensée chinoise. A suivre, Jean-Louis