mercredi 29 avril 2020

Xan, Hexagramme 31, l'incitation stimulatrice


 Xian, hexagramme 31


Je vais commencer maintenant l’étude des quatre hexagrammes énumérés dans le post précédant en suivant, bien sûr, Figures de l’immanence. Il s’agit d’une partie très technique que je vais simplifier à l’extrême. Nous allons retrouver l’importance des notions de transformation et de position dans la signification. Chemin faisant nous verrons apparaitre certains traits généraux de la culture chinoise. Ce sont eux que je privilégierai dans l’optique d’une éventuelle conférence plutôt qu’une analyse exhaustive des traits et de leurs commentaires probablement plus utiles dans le cadre de l’utilisation du Yi Jing comme outil d’aide à la décision.

Commençons donc par l’hexagramme 31, Xian, l’incitation stimulatrice qui procède par transformation de l’hexagramme Pi, le déclin (voir post du 20 avril) et qui propose un dépassement de celui-ci. Xian procède de Pi par permutation des traits supérieurs de leurs trigrammes respectifs. Le sixième trait yang descend en troisième position et le troisième trait yin monte en sixième position.


Hexagramme 12, Pi, le déclin 



                                         Hexagramme 31, Xian, l'incitation stimulatrice
 

Les troisième et sixième trait qui sont ici permutés représentent la partie la plus extérieure – parce que supérieure de chacun des trigrammes. La figure signifie donc l’incitation par contact au-dehors qi ne cesse de se produire entre tous les existants. L’importance de cette figure est manifeste mais elle n’est pas sans ambiguïté. Certes elle représente bien la façon de commencer à sortir de Pi, le déclin dont elle est dérivée : par réaction à l’incitation venue du dehors, l’existence sort de sa stagnation, la communication est rétablie. Mais elle risque d’être superficielle car elle s’opère à la surface des deux trigrammes.

Tout dépend donc entre quoi et quoi se produit l’incitation. Si cette incitation concerne le Ciel et la Terre, elle ne peut manquer de provoquer sans fin l’engendrement des existants. De même quand c’est la conscience du Sage qui réagit au monde il en résulte une sorte de contagion du bien dans toute la société. Car, selon la vision qui est traditionnelle en Chine, le Sage « n’instruit » pas les autres par sa parole, en exposant dogmatiquement la vérité et donnant des leçons, mais il ne cesse de les stimuler. Il n’a pas pour vocation d’apporter aux hommes un message… mais simplement une « incitation » François Jullien P. 1236. C’est la une différence avec la conception des philosophes occidentaux. On se souvient du jugement sévère de Hegel sur les Entretiens de Confucius déçu de ne pas trouver de grande construction théorique comme les philosophes occidentaux en ont bâti à foison. De fait, les propos de Confucius ne sont pas insipides, mais incitatifs…Confucius n’explique pas, il incite. (sur ce point voir Cyrille Javary, Les trois sagesses chinoises, P. 111)

Un autre exemple d’incitation favorable est celle qui existe entre les sexes : « prendre femme est faste » puisqu’en découle l‘engendrement de l’existence. Notons que le yang masculin « descend » à la rencontre du yin mais sans quitter les siens. Les quatrième et cinquième traits yang demeurent à côté de lui comme il est convenable en Chine où traditionnellement l’homme reste dans sa famille. Par contre le yin, féminin monte en sixième position et rejoint la famille de son époux (les traits yang).

Mais on l’a vu cette figure est ambiguë. L’incitation risque d’être superficielle car elle s’opère à la surface des deux trigrammes. La figure est aussi comparée au corps humain. Le premier trait est l’orteil et en remontant on arrive à la bouche au sixième trait. La bouche étant le siège de la parole. Or c’est particulièrement là que peut surgir les dangers d’une incitation superficielle et par conséquent stérile.
Parler à peine on est incité est le comble du méprisable et es mots qui jaillissent alors de notre bouche … seront dépourvus de discernement.
On reconnait ici la défiance des penseurs chinois, particulièrement taoïstes pour le langage discursif.
Qui sait ne parle pas
Qui parle ne sait pas
Garde la bouche fermée
Garde la porte close    Laozi §16

Ou encore : Tu es le maître des paroles que tu n’as pas dites, tu es l’esclave des paroles que tu as prononcées.

Cette brève analyse de l’hexagramme Xian, nous a permis de vérifier l’importance de la transformation et de la position des traits dans la signification. Il faudra voir avec des amies spécialistes comment on passe d’une analyse générale telle que proposée dans Figures de l’immanence à une interprétation ciblée sur l’aide à a décision (divination).

Pour ma part, je reste assez perplexe devant la diversité des interprétations possibles d’un hexagramme. Alors richesse symbolique ou auberge espagnole ? Quel est votre avis ?
A suivre,
Jean-Louis

dimanche 26 avril 2020

La notion de transformation dans le Yi Jing, 1ère partie

Yi Jing (calligraphie de Weiyi)

La pensée chinoise, on le sait, est une pensée dite corrélative (Léon Vandermeersch : Les deux raisons de la pensée chinoise P. 113 et suivantes) ou relationnelle (voir Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, Introduction).

Le propre d’une pensée relationnelle ou corrélative est de montrer qu’un élément ne peut pas être compris en lui-même, isolément, de manière séparée. Pour être analysé, il doit être mis en relation avec un ou plusieurs autres éléments. C’est le fondement de la méthode comparatiste. C’est ce que nous dit Lévi-Strauss : Pas plus que les mythes, les masques ne peuvent s’interpréter en eux-mêmes et par eux-mêmes comme des objets séparés. Envisagé au point de vue sémantique, un mythe n’acquiert un sens qu’une fois replacé dans le groupe de ses transformations…La voie des masques P. 18. 

Ce qui est vrai pour les masques et les mythes indiens est vrai également pour les hexagrammes du Yi Jing. Toujours interprétés deux par deux, les hexagrammes traduisent des situations transitoires dont de sens et les tendances qu’ils recèlent n’apparaissent que dans leur transformation. Jacques Gernet L’intelligence de la Chine, cité par Anne Cheng P 279.

J’ai souligné dans les deux citations le mot transformation car cette notion est le point central de la méthode de Lévi-Strauss : Dès lors qu’on essaye de rendre compte de la diversité, quel que soit le domaine considéré, par les façons différentes dont les éléments peuvent se combiner, le recours à la notion de transformation s’impose. De prés et de loin, Entretiens entre Claude Lévi-Strauss et Didier Eribon.

Or qu’est ce que le Yi Jing si ce n’est une tentative pour rendre compte de la diversité par les façons différentes dont les traits des hexagrammes peuvent se combiner ? Il est donc logique que la notion de transformation soit centrale dans le Yi Jing (notons qu'une des traductions de Yi Jing est Livre des transformations) comme dans l’analyse des mythes, les différents types de pensées relationnelles utilisant les mêmes mécanismes de l’esprit.

Dans Figures de l’immanence, François Jullien nous propose d’étudier trois nouveaux couples de figures : les hexagrammes 31 et 32, Xian et Heng, 41 et 42, Sun et Yi, 63 et 64, Jiji et Weiji qui procèdent par transformation des deux hexagrammes 11 et 12, Tai et Pi que nous avons abordés dans le post précédant. Que nous découvrent ces transformations si ce n’est le fonctionnement de la pensée chinoise ?
A suivre,
Jean-Louis

lundi 20 avril 2020

L'essor et le déclin dans le Yi Jing


Jardin de l' administrateur maladroit, Suzhou (Zhuōzhèng Yuán 拙政园, 苏州)

Dans Figures de l’immanence, François Jullien, suivant les commentaires canoniques et ceux de Wang Fuzhi nous présente une analyse des hexagrammes 11 et 12 du Yi Jing.

La figure 11 Tai, est composée de trois traits yang au-dessous et de trois traits yin au-dessus. C’est l’essor, le passage, la communication.       

La figure 12 Pi, est composée de trois traits yin au-dessous et de trois traits yang au-dessus. C’est le déclin, l’obstruction.  


 Que nous apprennent ces deux hexagrammes ? 

- Tout d’abord l’importance de la position des éléments dans la signification (voir ma dernière conférence). L’inversion de la position des trigrammes entraine une inversion de sens. 

- La pensée chinoise est une pensée mutationnelle (Léon Vandermeersch). L’essor est assimilé au mouvement, au passage, à a communication. Le déclin à l’obstruction. « Le réel n’existe qu’en tant que flux » (François Jullien P. 1211)
Certes toutes les civilisations ont été sensibles à l’importance du mouvement, du changement. Héraclite : « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». Mais il me semble que l’originalité de la pensée chinoise est de considérer que non seulement les choses sont en mouvement mais que les choses elles-mêmes, la matière elle-même sont des mouvements. Les « cinq éléments » sont des mouvements, les cinq organes du corps humain sont des mouvements (Elisabeth Rochat de La Vallée et Claude Larre) 

- L’alternance cyclique. Le déclin non seulement fait suite à l’essor mais il est déjà mêlé à lui. : Ainsi les commentaires du troisième trait de Tai annoncent : « qu’il n’y a pas de terrain plat qui ne soit suivi d’une côte ni d’aller qui ne soit suivi d’un retour ». On retrouve l’idée que chaque opposé contient déjà une part de son contraire. 


- L’attitude du Sage pendant les périodes troublées. Tai représente la prospérité. Les périodes troublées sont représentées par Pi, l’obstruction, le déclin. La communication est bloquée entre les éléments. Pendant les périodes troublées les commentaires canoniques conseillent au Sage « de ne pas faire montre de sa capacité, de peur de heurter trop ouvertement ceux qui sont au pouvoir. Le plus sage n’est-il pas de s’économiser dans l’attente de jours meilleurs, c’est-à-dire en comptant sur le retour prévisible des facteurs positifs … Le Sage attend donc simplement que les effets négatifs de cette tyrannie se soient suffisamment manifestés pour que l’ascendant détenu par le mauvais souverain se soit épuisé et que l’autorité lui revienne alors sponte sua. L’exemple est même, au cinquième trait , celui du Sage qui voile intentionnellement sa clarté, jusqu’à simuler la folie, pour se mettre à l’abri de la férocité du prince, mais n’en préserve pas moins sa rectitude intérieure. » Francois Jullien P 1225.On retrouve cette attitude dans l’histoire des jardins chinois. Pendant les périodes troublées le Sage se retire dans son jardin. « La bêtise, la maladresse, la folie sont un moyen d’éviter des contraintes compromettantes ou des concessions trop difficiles à la société. » Yolaine Escande, La culture du shanshui. Voir jardin de l’humble administrateur, Suzhou (Zhuōzhèng Yuán 拙政园, 苏州)


- Certains hexagrammes sont le reflet d’une période de l’Histoire chinoise.
Ainsi selon Wang Fuzhi, l’hexagramme Pi évoquerait l’effondrement de la dynastie des Shang et son remplacement par les Zhou (XI ème siècle avant JC). Ce sont en effet, les représentant de la lignée montante que nous voyons paraître dès les premiers traits. Dans l’ordre le duc Tai, le roi Wen, le duc de Zhou….Tandis que c’est le dernier souverain des Shang que nous voyons expulsé au dernier. Selon l’historiographie chinoise le processus décrit ne tient pas à ce que le fondateur de la nouvelle dynastie a su « saisir » au vol le « mandat » céleste mais correspond au déploiement spontané de la logique inhérente aux processus naturels. Voir FJ P. 1225, 1226.

- Statut du négatif dans la pensée chinoise. « Bien loin de pouvoir remettre en question la régularité du processus, la manifestation du négatif sert à sa continuité, en permettant à celui-ci de se renouveler. » FJ P. 1231

Cela permettra t-il de faire une conférence ?

Jean-Louis