dimanche 16 février 2020

François Cheng, Yi Jing, sagesse chinoise, envol du dragon



Le 29 janvier, François Busnel recevait François Cheng accompagné de Christiane Rancé qui publie un Dictionnaire amoureux des saints et de Daniel Tamet auteur de Fragments de paradis.
Vous pourrez revoir cette émission en suivant le lien :

Voici quelques impressions. Tout d’abord un grand merci à François Cheng de parler lentement, de prendre son temps. Comme c’est reposant et apaisant. Déjà en le voyant et en l’écoutant on se sent bien. Et puisque je parle de sensation j’ai bien aimé l’échange sur la polysémie du mot français « sens » qui cristallise trois niveaux de notre existence : sensation, direction, signification.
Un autre moment a particulièrement retenu mon attention. Daniel Tamet prête aux chiffres des couleurs et des significations. Par exemple, pour lui, le chiffre 10 représente la plénitude. François Cheng rappelle que « pour les Chinois aussi, le chiffre 10 représente la plénitude. Mais on préfère le chiffre 9 parce que la plénitude, en soi, au-delà ce peut être le déclin et on préfère peut-être une position de devenir. Le 9 permet de tendre vers le 10 mais sans être le 10. C’est la sagesse chinoise ».

On retrouve la même idée dans le Yi jing, le Livre des Mutations. Dans son ouvrage Figures de l’immanence, François Jullien analyse le Yi jing à partir des commentaires de Wang Fuzhi, un auteur du XVII° siècle. Le premier hexagramme, Qian,  est composé de six traits yang. Un hexagramme se lit de bas en haut. Au premier trait, le Dragon est encore enfoui dans la terre. Au deuxième trait il sort timidement de terre. Mais ce n'est qu'au cinquième trait qu'il prend véritablement son envol. Le cinquième trait (un peu l’équivalent du chiffre 9 dans l’échange entre Daniel Tamet et François Cheng)  c’est « le Dragon volant dans le ciel ». « Le motif du vol signifie ainsi que, grâce à tous les efforts précédents, la marche  en avant est désormais une évolution libre et sans effort, que la persévérance s’est muée en spontanéité…Une telle formule qui exprime au mieux le passage de l’apprentissage à la maîtrise …a servi à caractériser, en Chine, l’accès à la sagesse » Voir les textes de Zhuangzi sur l’apprentissage mais aussi Confucius « A soixante-dix ans, j’agissais suivant les désirs de mon cœur, sans pour autant transgresser aucune règle »1 Entretiens II,4. Ainsi le cinquième trait de l’hexagramme, comme le chiffre 9, est le moment le plus favorable, le plus heureux.
Mais alors qu’en est-il du sixième trait  qui culmine la figure ? Et bien il en va du sixième trait comme du chiffre 10. « Voici le dragon bloqué dans cette position supérieure…ce trait, en haut perché, est celui de l’extrémité. Qui touche au but n’a plus d’au-delà où avancer, la seule possibilité qui reste est celle de la conversion et du repli…ce qui est plein ne peut durer, ce qui n’augmente pas est condamner à décliner ».
On reconnait là, bien sûr, les thèmes chers à la pensée chinoise : le cheminement importe plus que le but à atteindre, la notion de cycle. Mais également peut-être aussi cette angoisse qui nous saisit quand tout va bien, quand tout va trop bien : on se dit « cela ne peut durer ».  Mais quand les choses sont difficiles peut-être peut-on se dire aussi «ça va aller mieux ".
Quant à notre Dragon à nous, le Dragon du bol de thé. Un petit frémissement actuellement. Il sort timidement le bout de son museau de terre. Mais soyons rassurés. Il y a encore du chemin à faire avant qu'il prenne son envol et soit bloqué au sixième trait.
Jean-Louis

1 Arrivé à l’âge décrit par Confucius, je n’ai malheureusement pas atteint sa sagesse.

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