Quel
rapport peut-il y avoir entre un penseur chinois du IVème siècle avant Jésus-Christ
et un psychanalyste français du XXème siècle ?
Tous
deux ont mis au centre de leur réflexion la relativité du langage.
Les
sources de ce post sont notamment, pour Zhuangzi, le chapitre 4 de l’Histoire de la pensée chinoise d’Anne
Cheng. Pour Lacan, La planète des Sages vol
II de Jul et Charles Pépin. Ces derniers sont les auteurs d’une série d’ouvrages
sur la mythologie grecque et la philosophie. Sur la page de droite Charles
Pépin écrit un texte consacré à un héros de la mythologie ou à un philosophe.
Sur la page de droite Jul illustre ce texte d’une manière fort plaisante et éclairante.
Par
exemple ces auteurs nous rappellent que Jacques Lacan (1901-1981) a
réinterprété les travaux de Freud à la lumière de la linguistique de Roman
Jakobson et du structuralisme de Claude Lévi-Strauss. Lacan et Lévi-Strauss
furent très liés un temps. Lévi-Strauss
raconte comment lui, Lacan et leurs épouses arpentaient les routes de France :
« Nous partions en expédition à quatre, c’était très gai. Il fallait voir Lacan
débarquer dans un hôtel minable de sous-préfecture et ordonnant du haut de sa
majesté impériale qu’on lui fasse couler un bain ». « Avec l’entrée
en scène de la pensée lévi-straussienne, Lacan trouvait enfin la solution
théorique à une refonte d’ensemble de la doctrine freudienne. Dans cette
refonte, l’inconscient échappait en grande partie à l’imprégnation biologique
où Freud l’avait ancré, dans la droite ligne de l’héritage du darwinisme, pour
être désigné comme une structure langagière » (voir Elisabeth Roudinesco
citée par Emmanuelle Loyer dans la biographie consacrée à Lévi-Strauss).
Pour
Lacan, nous dit Charles Pépin il s’agit de « Parler, mais autrement. Non
pas la langue de la raison mais
celle du sujet dans sa vérité inconsciente. Parler jusqu’au non-sens, parler en jouant
avec les mots parce qu’il n’y a rien de plus sérieux : les déplacer, c’est les libérer de leur sens
commun, leur donner la chance de résonner dans une histoire singulière. Si « l’inconscient
est structuré comme un langage », nos mots n’ont pas de sens en eux-mêmes :
ils trouvent leur vérité au milieu d’une chaine de signifiants, d’une structure
inconsciente propre à chacun. »
(souligné par moi)
Deux
mille quatre cents ans avant Lacan, Zhuangzi jouait déjà avec les mots, critiquait la
raison discursive, usait du non-sens et proclamait la validité du langage
propre à chaque locuteur. Zhuangzi « fait
feu de tout bois, use de tous les procédés, pour tourner en dérision la raison
discursive et en dénoncer la vanité. Dans le Zhuangzi, les mots sont très souvent pris dans un sens différent ou
même contraire à celui qu’ils ont dans le langage ordinaire …Il affectionne le
dialogue en chaîne ou l’anecdote paradoxale qui finit sur une touche de nonsense destiné à provoquer un sursaut,
voir un bond dans une vérité autre que celle de la logique ordinaire – procédé
réutilisé bien plus tard par le bouddhisme Chan ….Zhuangzi ne parle pas du
discours en termes absolus de « vrai/faux », mais en termes de « c’est
cela » ou « ce n’est pas cela ». Or, qu’est-ce qui permet de
décider que « c’est cela » est un point de référence absolu ? Et
qu’est ce qui permet de décider que quelque chose « est cela » ou ne
l’est pas ? Pour Zhuangzi, une telle affirmation ne fait qu’ouvrir une
perspective propre au locuteur, elle ne vaut que pour lui et à l’intérieur de
cette seule perspective » Anne Cheng,
Histoire de la pensée chinoise.
Bien
sûr comparer n’est pas assimiler. Les perspectives de Lacan et de Zhuangzi sont
certainement très éloignées. Pour Lacan, il s’agit d’ouvrir une nouvelle voie à
la psychanalyse ; pour Zhuangzi, il s’agit d’ouvrir une nouvelle voie à la
pensée chinoise et de s’opposer aux logiciens des Royaumes Combattants. Toutefois,
il me semble que l’on peut trouver chez ces auteurs deux approches de la relativité
du langage qui s’éclairent mutuellement.
Jean-Louis