dimanche 25 mars 2018

Lavandes et thés, des points de rencontre entre la Chine et la Provence




Nous étions environ 25 personnes réunies à la Maison des Associations pour écouter Marjorie qui avait bien voulu nous faire partager l’avancement de sa thèse consacrée aux « mutations économiques et culturelles d’un territoire touristique : enjeux et controverses ».
Le territoire concerné par la thèse de Marjorie, c’est la France et plus particulièrement la Provence. Le tourisme ciblé, c’est le tourisme chinois qui s’est développé en France à partir de 2009. C’est donc un phénomène récent. Conséquence de l’essor économique de la Chine, il est en forte progression puisqu’entre 2009 et 2016 il a augmenté de 176 %  et qu’il continue à augmenter de 25% par an. Comme tous les tourismes, le tourisme chinois repose sur une vision imaginaire du pays visité, ce que Marjorie appelle des « nuées d’imaginaires ». C’est ainsi que les Chinois ont une vision positive de la France à 75%. Cette opinion positive repose notamment sur le fait que la France serait le pays du romantisme. Marjorie a raison de conserver l’appellation chinoise 浪漫 (Làngmàn) car la conception des touristes chinois n’a certainement pas grand-chose à voir avec le mouvement artistique qui s’est opposé au classicisme à partir du XIX° siècle en Europe.
Pour les touristes chinois, un des symboles de ce romantisme, alimenté par des livres comme Une année en Provence de Peter Mayle, est la lavande et ses champs dans lesquels il faut absolument se faire photographier. Cet attrait pour la lavande et ses produits dérivés a conduit les acteurs économiques à des stratégies commerciales qui peuvent les mener à des mises en concurrence.
L’exposé de Marjorie, alimenté de nombreuses anecdotes tirées de son expérience comme guide touristique, a été suivi avec beaucoup d’intérêt par l’assistance comme le montrent les nombreuses questions qui ont suivi.
Nous comptons bien suivre de près l’évolution de ses travaux.





Après la conférence, Françoise et Marion nous ont invités à une présentation et à une dégustation de thés chinois. Au plaisir d’écouter ces deux spécialistes du thé s’ajoutait une synesthésie du goût et de la vue ; plaisir du goût car nous avons pu déguster plusieurs sortes de thés, notamment un excellent Pǔ'ěr, 普洱茶, plaisir de la vue car le matériel exposé était de toute beauté.

En résumé, une rencontre très conviviale qui a permis de nombreux échanges. Un grand merci à Marjorie, Françoise et Marion. A refaire …souvent.

Jean-Louis 

jeudi 22 mars 2018

Le livre d'Yves

Nous sommes nombreux à avoir écouté Yves à 2 reprises sur ce sujet (avec Marion la 2nde fois).
Voici maintenant la consécration de ce long et remarquable travail d'érudition, le livre vient de paraître et se trouve en librairie.

Résultant d’une convergence entre la recherche de main d’œuvre de l’administration de la Guerre française, malgré des désaccords au sein du gouvernement,  et la volonté des autorités chinoises de se rapprocher des Alliés afin de se préserver des visées japonaises, environ 37 000 Chinois débarquèrent à Marseille à partir du 24 août 1916. L’ouvrage retrace au travers d’une approche chronologique et thématique le parcours de ces travailleurs, soumis à un encadrement militaire tenu d’exercer un contrôle étroit. Il étudie leurs conditions d’existence pour le moins difficiles, confrontés aux pénuries de toutes sortes et aux mauvaises volontés d’employeurs, publics ou privés, peu soucieux de respecter les engagements pris. Il explore l’environnement dans lequel ces Chinois furent immergés, environnement fréquemment hostile, marqué par une image dépréciative dont ils étaient porteurs et par la méfiance d’un monde ouvrier qui voyait en eux une concurrence déloyale, à l’origine de nombreux actes de violence souvent subis mais aussi commis par certains d’entre eux, y compris à l’encontre de leurs compatriotes. Etant considérés inassimilables, comme les travailleurs coloniaux recrutés pour participer à l’effort de guerre, ils ne devaient pas rester en France, et l’ouvrage examine les diverses modalités déployées pour les rapatrier, notamment après l’expérience douloureuse des régions libérées, ainsi que les conditions très restrictives imposées à ceux qui purent se maintenir en France.

dimanche 18 mars 2018

Les opposés complémentaires dans la cosmologie chinoise et la mythologie amérindienne

Le Yin et le Yang, modèle des opposés complémentaires de la cosmologie chinoise



Deux masques indiens opposés compléméntaires


La cosmologie chinoise
Dans la cosmologie chinoise le modèle des opposés complémentaires est le couple Yin/Yang. Dans la figure qui les représente le Yin, c’est la partie noire, le Yang c’est la partie blanche. Ces couleurs (ou absence de couleurs) sont à mettre en relation avec l’origine de ces notions. Le Yin c’est l’ubac, le versant à l’ombre de la montagne. Les qualités associées au Yin seront donc : l’obscurité, la fraicheur, l’humidité, la nuit, la saison froide…Le Yang c’est l’adret, le versant ensoleillé de la montagne. Les qualités associées au Yang seront donc les qualités opposées à celles du Yin à savoir : la lumière, la chaleur, le sec, le jour, la saison chaude. Le Yin et le Yang sont dits complémentaires car les relations qui les unissent sont des relations de passage, de transformation, d’alternance. Le Yin nait, murit et se transforme en son contraire le Yang comme le jour succède à la nuit, et l’été succède à l’hiver. En outre, le Yin n’existe que par rapport au Yang et réciproquement. L’obscurité, la fraicheur, l’humidité n’existe et n’ont de sens que par rapport à la lumière, à la chaleur, au sec.
On retrouve cette notion d’opposés complémentaires dans la mythologie amérindienne.

La mythologie amérindienne
Claude Lévi-Strauss a souligné à de nombreuses reprises que les mythes ou les masques indiens connaissent plusieurs versions. En passant d’une version à l’autre les caractéristiques des mythes ou des masques se transforment en s’inversant comme le Yin et le Yang. En outre, comme les opposés complémentaires de la cosmologie chinoise, un mythe ou un masque ne peuvent pas être compris, n’ont pas de sens pris séparément. Pour comprendre un mythe ou un masque il faut les envisager dans leurs différentes versions, dans leurs transformations, dans leurs oppositions. « A toutes ces interrogations, je suis resté incapable de répondre avoir d’avoir compris que, pas plus que les mythes, les masques ne peuvent s’interpréter en eux-mêmes et par eux-mêmes, comme des objets séparés. Envisagé d’un point de vue sémantique, un mythe n’acquiert un sens qu’une fois replacé dans le groupe de ses transformations ». Claude Lévi-Strauss, La voie des masques.

La forme, la couleur, les aspects d’un masque ne peuvent s’interpréter isolément. Ces aspects sont indissociables d’autres auxquels ils s’opposent. « Le swaihwé salish (masque de gauche) et la dzonokwa kwakiutl (masque de droite), que nul n’aurait songé à comparer, ne sont pas interprétables chacun pour son compte et considérés à l’état isolé. Ce sont des pièces d’un système au sein duquel ils se transforment mutuellement. Comme il est vrai des mythes, les masques, avec les mythes qui fondent leur origine et les rites où ils comparaissent, ne deviennent intelligibles qu’à travers les rapports qui les unissent. La couleur blanche des parures swaihwé, la couleur noire du masque dzonokwa, les yeux protubérants de l’un et concaves de l’autres, la langue pendante et la bouche aux lèvres froncées signifient moins chacun pris à part, qu’ils n’ont un sens, pourrait-on dire diacritique. L’attribution de chaque trait à tel ou tel être surnaturel est fonction de la façon dont, au sein d’un panthéon, ces êtres s’opposent les uns aux autres pour mieux assurer des rôles complémentaires. » Claude Lévi-Strauss, La voie des masques.

On pourrait multiplier les citations. Ainsi, les mythes, les masques indiens, comme le Yin et le Yang, se transforment en inversant leurs caractéristiques, comme le Yin et le Yang, ils ne peuvent être compris séparément, comme le Yin et le Yang, ils s’opposent de manière complémentaire.

Mais il existe une différence importante entre la cosmologie chinoise et la pensée mythique amérindienne. La première repose sur une conception naturaliste. Les catégories de cette cosmologie sont des données sensibles de la nature qui trouvent représentation abstraite dans la figure géométrique du Yin/Yang. Les mutations, transformations, oppositions complémentaires que l’on peut observer entre le Yin et le Yang, en un mot le dynamisme de la nature se font d’eux-mêmes (notion de ziran) sans intervention d’un Dieu créateur ou  de personnages supranaturels. A l’inverse les mutations, transformations, oppositions complémentaires que nous racontent les mythes sont l’œuvre de personnages supranaturels. Ces différences sont bien soulignées par Anne Cheng : « Si les textes chinois font occasionnellement référence à des représentations cosmogoniques de l’origine ou de la genèse du monde, celui-ci est représenté, de manière prédominante, comme allant « de soi-même ainsi » suivant un processus de transformation…On a déjà constaté la pauvreté des mythes de la Chine ancienne, du moins tels qu’ils nous sont parvenus. A tel point qu’on est en droit de se demander, pour reprendre le titre de Paul Veyne, si les Chinois ont cru à leurs mythes. »Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise.

Ces notions de Yin et de Yang, d’opposés complémentaires pourraient peut-être être approfondies dans une conférence.
Jean-Louis