Quel
rapport entre le chanteur français et le sage chinois ? Certes tous deux nous ont parlé des
papillons. Mais ce n’est peut-être pas leur seul point commun.
Je
regardais, dernièrement, une interview de
Georges Brassens. Brassens parlait de l’appréhension qui le saisissait, surtout
à ses débuts, lorsqu’il devait chanter en public. Il se demandait si cette
émotion était la conséquence d’une modestie ou plutôt d’un orgueil lié à la
peur de décevoir et à une trop haute opinion qu’il avait de lui-même. Souvent
les mots que nous employons nous semblent impropres à décrire une réalité
surtout lorsqu’il s’agit de qualités morales. Nous avançons un terme mais
aussitôt nous sentons bien qu’on pourrait aussi bien dire le contraire. Exemple
générosité/égoïsme ...etc.
Cette
réflexion de Brassens m’a fait penser à Zhuangzi.
Il
me semble que les penseurs chinois se sont toujours méfié du langage rationnel
qui découpe, délimite, limite la réalité. Ainsi Confucius. Alors qu’il parle
constamment du ren 仁
dans les Entretiens, Confucius
se refuse à en donner une définition explicite et de ce fait limitative. Il
préfère répondre par touches successives aux questions que lui posent ses
disciples. Mais celui qui est allé le plus loin dans la critique du langage
rationnel est certainement Zhuangzi.
Ce qu’il dit me semble très profond. «
Pour Zuangzi, le langage ne peut rien nous dire sur la véritable nature des
choses du fait que c’est lui qui pose, non seulement les noms que nous donnons
aux choses, mais dans le même temps ces choses elles-mêmes. En posant à la fois
les noms et les réalités, le langage n’est en fait qu’un découpage artificiel
et arbitraire de la réalité…. Zhuangzi ne parle pas du discours en termes
absolus de vrai/faux, mais en termes de « c’est cela » « ce n’est
pas cela ». Or qu’est-ce qui permet de décider que « c’est cela »
est un point de référence absolu ? Et qu’est ce qui permet de décider que
quelque chose « est cela » ou ne l’est pas ? Pour Zhuangzi, une
telle affirmation ne fait qu’ouvrir une perspective propre au locuteur, elle ne
vaut que pour lui et à l’intérieur de cette seule perspective. Dans ce sens,
confronter le « c’est cela » d’un locuteur particulier avec le « c’est
cela » d’un autre locuteur n’a aucune valeur puisqu’il n’existe pas de terrain
commun d’évaluation entre deux perspectives purement subjectives…La raison
analytique ne sait fonctionner que sur le principe du tiers exclu : telle
chose « est cela », ou ne l’est pas. Or, pour Zhuangzi, c’est un
leurre que de prétendre affirmer une chose puisqu’il est possible simultanément
d’affirmer son contraire… Dans cette perspective, le sage apparaît comme celui
qui ne se laisse pas piéger, aliéner par le langage et ses prétentions à « poser
quelque chose » et à servir ainsi de référence absolue. Même si le langage
n’est pas à prendre au sérieux, il est à utiliser en pleine connaissance de
cause, c'est-à-dire comme créant de toutes pièces un monde artificiellement
limité et limitatif. Reste la possibilité de s’en jouer en inventant un langage
nouveau, qui ne soit plus un simple instrument de discussion et de distinction
entre « c’est cela » et ce n’est pas cela ». Anne Cheng Histoire de la pensée chinoise.
Ces réflexions de Zhuangzi ne rejoignent-elles
pas celles d’un Pascal Quignard ou d’un Mallarmé ? Mallarmé qui inventa
une nouvelle poésie pour nous faire rêver « Au transparent glacier des
vols qui n’ont pas fui »
Jean-Louis
Cela demande vraiment réflexion avant de commenter. A plus tard.
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