lundi 28 août 2017

Bouddhisme et piété filiale


Vimalakīrti en train de débattre avec le bodhisattva Manjushri
Peinture murale de la Grotte n° 103 de MogaoDunhuang, Chine. VIIIesiècle


Fête de l'Ullambana à Pékin


Danses du Bon-Odori au Japon

La piété filiale, comme on le sait, est l’un des piliers de la société chinoise traditionnelle. Elle repose sur le lien de réciprocité qui unit les parents à leurs enfants. Les parents élèvent leurs enfant et les éduquent, le moment venu les enfants prendront soin de leurs parents. La piété filiale sert de modèle aux autres relations sociales notamment à la relation qui unit le prince à ses sujets. La grande idée de Confucius, le ren , notion que l’on traduit en général par sens de l’humain, qualité humaine repose aussi sur l’idée de réciprocité (le ren c’est faire à autrui le bien que l’on voudrait que l’on nous fasse) et trouve son modèle dans la piété filiale. Par extension, l’idée de réciprocité contenue dans la piété filiale trouve sa manifestation dans les témoignages d’amitié que nos amis chinois nous envoient en souvenir du rôle de « parents français » que nous avons tenu en favorisant leur intégration lors de leur séjour en France.

Avec l’institution monastique qui veut que l’on quitte sa famille pour se faire moine, le bouddhisme semblait en contradiction avec la piété filiale. Pourtant le bouddhisme du Mahâyâna qui est le courant qui se diffusa en Chine parvint à ménager la tradition chinoise comme on peut le constater dans deux sûtras : le Sûtra de Vimalakîrti et le Sûtra de l’Ullambana.

le Sûtra de Vimalakîrti
Ce Sûtra raconte l’histoire suivante : Vimalakîrti marchand prospère était gravement malade. Le Bouddha qui était son ami demande à ses disciples d’aller s’enquérir des causes de sa maladie. Mais tous se récusent car ils craignaient ses réparties cinglantes. Seul Manjushri, bodhisattva de la Sagesse suprême, accepte de se rendre au chevet du malade. L’échange qui s’ensuit entre le laïc et le religieux donne lieu à l’un des enseignements les plus profonds du bouddhisme Mahâyâna portant notamment sur la notion de vacuité. Au cours de ce dialogue on apprend également que la maladie de Vimalakîrti provient de son empathie envers les malades et ceux qui souffrent. Cette profonde compassion est la caractéristique du bodhisattva, l’Etre d’Eveil,  qui s’abstient d’entrer en nirvâna tant que tous les êtres souffrants n’ont pas atteint l’Eveil.
Alors que le bouddhisme originel (Hînayâna) réservait le Salut à l’élite monastique,  le Sûtra de Vimalakîrti offre l’exemple d’un laïc, père de famille, participant aux affaires de la Cité et modèle de piété filiale devenu un bodhisattva accompli. Comme le résume Anne Cheng dans son Histoire de la pensée chinoise « Vimalakîrti, tout à la fois incarnation du saint laïc et modèle de piété filiale, apparaît comme une figure centrale du Mahâyâna qui cherche précisément à étendre la bouddhéité hors des limites restrictives du rigorisme monastique, tout en étant présenté comme un idéal confucéen susceptible de parler directement à la mentalité chinoise ».

Le Sûtra de L’Ullambana
Ce Sûtra raconte l’histoire de Moggallâna (en chinois Mulian), l’un des dix grands disciples du Bouddha, qui descendit aux enfers pour sauver sa mère.
Moggallâna usa de ses pouvoirs pour rechercher sa mère défunte dans les six mondes du samsara. Grâce à sa vue surnaturelle, il vit sa mère enfermée dans le monde des esprits affamés où elle souffrait en raison de la cupidité dont elle avait fait preuve dans sa vie antérieure. Désespéré Moggallâna revint auprès du Bouddha pour le supplier de sauver sa mère. Le Bouddha lui répondit que pour sauver sa mère il devait lors du 15 ème jour du 7 ème mois lunaire offrir les offrandes les plus pures et joindre ses incantations à celles des moines de la sangha qui ce jour là sortaient de leur retraite. Le disciple fit comme demandé et libéra sa mère. Il découvrit par la même occasion l'abnégation dont avait fait preuve sa mère et les multiples sacrifices qu'elle avait faits pour lui. Moggallâna, heureux de la libération de sa mère et reconnaissant envers celle-ci pour sa gentillesse, dansa de joie 

Moggallâna demanda au Bouddha si ce qui venait de lui être accordé pourrait servir à d’autres mortels désireux de sauver leurs parents du cycle des renaissances. Le Bouddha répondit que
le 15ème jour du 7ème mois les âmes errantes pourraient bénéficier d’une grâce collective à condition de répéter le rituel indiqué.

La tradition se perpétue jusqu’à nos jours et l’Ullambana est devenue en Asie une fête importante notamment en Chine où elle porte le nom de Fête des fantômes, en Corée, au Vietnam et au Japon où elle porte le nom de O-Bon. Au Japon cette fête donne lieu à des danses : le Bon Odori.

Cette année la fête de l’Ullambana aura lieu le 5 septembre.

Comme on peut le voir avec les deux sûtras mentionnés dans cet article le bouddhisme a pu s’adapter à la tradition chinoise. C’est cette capacité d’adaptation dont ne sut pas faire preuve le christianisme lorsqu’il tenta de s’implanter en Chine au XVII° siècle qui explique que le bouddhisme ait pu devenir avec le confucianisme et le taoïsme un des « trois Enseignements » fondateurs de la pensée chinoise.
Jean-Louis

4 commentaires:

  1. Merci pour ce nouvel article toujours aussi intéressant. Cela m'a donné envie de chercher quelques infos complémentaires : sous réserve de la validité de mes sources, le 5 septembre de cette année (donc le 15ème jour du 7ème mois lunaire) commence le "mois des fantômes"; c'est pendant tout un mois que sont relâchés sur terre les esprits retenus dans les enfers parce qu'ils ne reçoivent pas de culte ou n'ont pu trouver la paix pour cause de mort violente ou de mauvaise conduite. C'est pourquoi, en particulier dans le culte taoïste, ils se voient offrir des repas et des cérémonies pour leur délivrance - et sans doute aussi pour les amadouer.
    Cette fête est bien à distinguer de la fête des morts (plus proche de notre 2 novembre)qui se tient en Chine début avril (qingmingjie) et qui est consacré à la visite et au nettoyage des tombes familiales.
    Où l'on voit une fois de plus que la distinction philosophie/spiritualité/religion/superstition est très superficielle dans la tradition chinoise et inopérante. Ne s'agit-il pas plutôt de grilles d'interprétation dépendant de moments historiques ou de l'évolution de chacun?

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  2. Je voudrais rebondir sur le dernier point du commentaire de Françoise.
    En bon Occidental (comme Mimi07, voir son commentaire sur Proust et le désir), formé par la pensée cartésienne et donc adepte des définitions et des distinctions claires et précises j’ai été gêné lorsque j’ai préparé cet article par les notions d’enfer et de damnés bouddhiques qui me semblaient peu compatibles avec l’idée de samsara et de renaissances.
    Pour comprendre la coexistence de ces notions apparemment contradictoires, il faut admettre effectivement que le bouddhisme a subi un phénomène d’hybridation avec des croyances locales probablement très anciennes. Ainsi l’Ullambana est devenu la fête des fantômes en Chine, la fête d’O-Bon au Japon pendant laquelle on accueille non seulement les ancêtres mais aussi Sai no kami, le dieu des chemins. Ces phénomènes d’hybridation expliquent que la distinction entre philosophie/religion/superstition soit inopérante.

    Je pense qu’il y aurait une recherche anthropologique tout à fait intéressante à faire sur les différentes réceptions de l’Ullambana à travers les pays où elle est célébrée, recherche à laquelle je participerais bien volontiers.
    Jean-Louis

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  3. Super intéressant ! J'espère ne pas croiser de fantômes ��
    Merci à vous 2
    Chantal

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  4. Super, un commentaire qui nous vient du pays de la piété filiale !
    Bon voyage !
    Jean-Louis

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