vendredi 29 janvier 2021

Poèmes d'amour à chanter

Poèmes d’amour chinois et français qui ont pour point commun d’exprimer le point de vue féminin (même si l’auteur du poème chinois est un homme) et d’être des poèmes à chanter.

 

Le poème chinois est de Liu Yong (vers 987-1053) de la dynastie Song. Ses poèmes sont des poèmes à chanter (ci ou manci pour les plus longs)

  Comme ils  désirent fermer les rideaux parfumés (sur l'air : Juhuaxin)

Comme ils désirent fermer les rideaux parfumés

Pour se parler d’amour, l’un contre l’autre serrés !

Elle fronce les sourcils, déjà chagrinée de la brièveté de la nuit.

Que son jeune amant se couche le premier,

Qu’il réchauffe le lit, sous l’édredon aux canards mandarins !

 

Mais l’ouvrage en train est bien vite délaissé

Et la jupe de soie retirée,

Pour faire naitre des désirs sans fin.

« Laisse la lampe allumée devant la courtine,

Que je puisse contempler à loisir,

Ce visage tant aimé ».

Traduction Muriel Detrie (Ed. You Feng)

 

 

Quelques siècles plus tard nous voici entre Saône et Rhône au temps de la Renaissance.

Louise Labé aima Olivier de Magny et le lui déclara dans un des vers les plus brûlants de la langue française … Tant de flambeaux ardents pour ardre une femelle !

 Louise Labé 


Ô beaux yeux bruns, ô regards détournés,

Ô chauds soupirs, ô larmes épandues,

Ô noires nuits vainement attendues,

Ô jours luisants vainement retournés :

 

Ô tristes plaintes, ô désirs obstinés,

Ô temps perdus, ô peines dépendues,

Ô mille morts en mille rets tendus,

Ô pires maux contre moi destinés :

 

Ô ris, ô fronts, cheveux, bras, mains et doigts :

Ô luth plaintif, viole archet et voix :

Tant de flambeaux ardents pour ardre une femelle !

 

De toi me plains, que, tant de feux portant,

En tant d’endroits d’iceux mon cœur tâtant,

N’en est pour toi volé quelque étincelle.

 

Pernette du Guillet

 


A la même époque, au même lieu voici Pernette du Guillet (v. 1520-1545) et Maurice Scève qui s’aimèrent. J’ai choisi deux poèmes de Pernette qui, me semble-t-il, trouvèrent un écho, bien des années plus tard dans les chansons de Brassens.

 

Pernette du Guillet

Combien de fois ai-je en moi souhaité

Me rencontrer sur la chaleur d’été

Tout au plus près de la claire fontaine,

Où mon désir avec cil se promène

Là, quand j’aurais bien au long vu son cours

Je le laisserais faire à part ses discours,

Peu à peu de lui m’écarterais ;

Et toute nue en l’eau me jetterais

Mais je voudrais lors quant et quant avoir

Mon petit luth accordé au devoir

Duquel ayant connu et pris le son,

J’entonnerai sur lui une chanson

Pour voir quels gestes il tiendrait.

Mais si vers moi il s’en venait tout droit,

Je le laisserai hardiment approcher ;

Et s’il voulait, tant soit peu, me toucher,

Lui jetterais, pour le moins, ma main pleine

De la pure eau de la claire fontaine,

Lui jetant droit aux yeux ou à la face

 

Brassens :

« Dans l’eau de la claire fontaine

Elle se baignait toute nue … »

 

 

Pernette du Guillet

Soit que par égale puissance

L’affection et le désir

Débattent de la jouissance

Du bien, dont se veulent saisir :

Si vous voulez leur droit choisir,

Vous trouverez sans fiction,

Que le désir en tout plaisir

Suivra toujours l’affection.

Rymes XXVII

 

 

Brassens

Sauf quand elle aime un homme avec tendresse

Toujours sensible alors à ses caresses

Toujours bien disposée, toujours encline à s’émouvoir …

S’il n’entend le cœur qui bat,

Le corps non plus ne broche pas …

 

Jean-Louis