Gabriel Fauré, Masques et bergamasques
Fin 1959, le musée Guimet organisait une exposition : "Le masque" permettant de découvrir les masques et leur fonction dans différentes civilisations. Claude Lévi-Strauss en faisait une présentation dans un numéro de l’Express du 10 décembre 1959. Je vous en propose un bref résumé.
- - diversité des tailles, celles-ci allant de 6 m des masques dogon à 13 cm d’une « masquette» esquimau, faite pour être enfilée au doigt comme une bague ;
- - diversité des matériaux : de la simple demi calebasse d'un masque brésilien aux masques incas en pierres précieuses
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diversité des fonctions. Masques rituels, masques
de beauté, masques mortuaires, masques de déguisement des carnavals, des
mascarades et des bals masqués, masques et bergamasques des fêtes galantes, masque de Zorro qui donne aux méchants, lorsqu'ils l'aperçoivent, le
masque de la peur. Depuis, à cette liste, se sont ajoutés les masques sanitaires
dont on ne parlait pas encore en 1959. Même si l'exposition présente un masque de la Chine ancienne que l'on mettait sur le visage des enfants pour éloigner les maladies. Ce masque était, bien sûr, magique et non sanitaire, mais l'on peut se demander si la dimension magique n'est pas, en partie, conservée dans nos masques sanitaires actuels.
L’article de l’ethnologue, malgré sa brièveté, est d’une grande richesse. On y apprend, par exemple, que dans certaines cultures les masques sont des êtres vivants qui s'engendrent les uns les autres ou qui peuvent se venger des humains s'ils sont maltraités.
Mais je ne peux tout citer. Je me limiterai donc à l’aspect social des masques. Le masque est le propre de l’homme. A de très rares exceptions près (découvertes de Pasyryk : chevaux portant des masques de rennes) seuls les hommes ont porté des masques. Le masque a affaire au visage. Or, «L'homme croit qu'il s'oppose à la création; il l'a, d'ailleurs, suffisamment saccagée depuis des millénaires, pour invoquer des preuves solides à l'appui de cette conviction. Mais de la même façon, le visage de l’homme s’oppose au corps de l’homme comme l’état de nature s’oppose à l’état de société. Les fonctions naturelles sont de l’ordre du corps : respiration, circulation, assimilation, génération, sur lesquelles nous avons peu de contrôle. Le visage, lui, est le siège des fonctions socialisées voire socialisantes : le langage d'abord, que la bouche articule; et cet autre système de signes en quoi consiste l'expression des sentiments…. C'’est à l’occasion du visage, et par le visage, que l’homme communique avec l’homme. C’est en le dissimulant ou en transformant son visage qu’il interrompt la communication, ou qu’il la détourne vers d’autres fins ». Un des masques les plus simples est la chevelure rabattue sur le visage des chamans en état de transe. « Le microcosme bien organisé du visage fait place à un univers désordonné. Les instruments sociaux d’expression et de communication cèdent la place à la nature envahissante. L’individu repérable comme personne devient un être anonyme. Ce n’est plus un parent ou un allié. …Il devient disponible pour établir des contacts avec d’autres forces, d’autres mondes ».
Il est un masque que nous portons tous les jours sans en prendre conscience (je ne parle pas des masques sanitaires) c’est le masque qui nous donne une face que nous ne voulons pas perdre, c’est le masque de notre personnage social car être soi c’est être « quelqu’un ». « Quelqu’un donc un masque : un être non seulement existant mais signifiant. » Et, si nous ne voulons pas perdre la face, parfois nous voulons l’oublier. C’est le rôle du « loup » de velours noir de nos bals « qui, pour son porteur comme pour ses rencontres d’une nuit, symbolise l’aventure et la chance d’une subversion de l’ordre quotidien ». Là encore le masque interrompt la communication sociale, ce qui fait dire à Lévi-Strauss que les masques ont une fonction inverse des mots.
Lévi-Strauss termine son article par une phrase un peu énigmatique qui apparaît masquée comme toute phrase prophétique. Je vous laisse le soin de l'interpréter, peut-être dans un commentaire : « une société qui se croirait délivrée des masques ne pourrait être qu’une société où les masques, plus puissants encore qu’ailleurs, et pour mieux duper les hommes, se seraient eux-mêmes masqués ».
Jean-Louis