lundi 3 juillet 2017

Bouddha, Proust et le désir


Lorsque l’on aborde le bouddhisme, on est surpris, voire dérangés par certains thèmes. Parmi ceux-ci la notion de vacuité du moi, de non-moi (an-atman). Mais peut-être plus encore sommes nous perturbés par l’attitude critique du bouddhisme face au désir qui nous enchaîne à la roue des renaissances, au samsara. Je l’ai bien vu dans les premières questions qui m’ont été posées après ma conférence du mois d’avril. Le désir n’est-il pas le moteur de nos actions ? Une vie sans désir ne serait-elle pas triste ?
Pourtant certains auteurs occidentaux partagent, me semble t-il, la critique bouddhiste du désir.
Ainsi dans Albertine disparue, Marcel Proust compare notre désir à la ligne d’horizon qui recule à mesure que l’on avance ce que Thérèse d’Avila exprime en disant « Notre désir est sans remède ». Proust en tire la conclusion suivante : « de sorte que si le bonheur ou du moins l’absence de souffrance peut-être trouvé ce n’est pas la satisfaction mais la réduction progressive, l’extinction finale du désir qu’il faut chercher ». Cette analyse est très proche du but que s’assigne le bouddhisme : « le but ultime (du bouddhisme) est de mettre fin à l’engrenage du désir : une fois le désir éteint, tout karma cesse de se produire et le cycle des renaissances prend fin, signe que le nirvâna a été atteint » (Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise). »

On pourrait d’ailleurs faire une lecture bouddhiste de La recherche du temps perdu qui devait à l’origine s’intituler Les intermittence du cœur. A de nombreuses reprises Proust évoque l’impermanence du moi et de notre désir. En voici un exemple toujours tiré d’Albertine disparue « On croit que selon son désir, on changera autour de soi les choses, on le croit parce que hors de là on ne voit aucune solution favorable. On ne pense pas à celle qui se produit le plus souvent et qui est favorable aussi : nous n’arrivons pas à changer les choses selon notre désir, mais peu à peu notre désir change. La situation que nous espérions changer parce qu’elle nous était insupportable nous devient indifférente ».

Proust, Bouddha : une même expérience humaine. Les grands penseurs se rejoignent au sommet.

Jean-Louis